La leçon des enfants
Quatre enfants ont survécu dans la forêt amazonienne sans ressources pendant 40 jours. L’événement a pris une ampleur planétaire, suscitant un émerveillement qui invite à nous interroger sur notre déconnexion à une nature, méthodiquement détruite.
dans l’hebdo N° 1762 Acheter ce numéro
C’est une aventure exceptionnelle, bien sûr, que celle de Lesly (13 ans), Soleiny (9 ans) Tien Noriel (5 ans) et Cristin (1 an), ces quatre enfants colombiens « que la forêt amazonienne a rendus », comme le décrit leur grand-père. On ne vous apprendra rien ici sur les péripéties consécutives à l’accident d’avionnette où sont décédés leur mère, un proche et le pilote, et dont ils ont réchappé. Le récit fera encore plusieurs fois le tour du monde dès que les enfants seront en mesure de l’enrichir par une relation plus complète une fois sortis de l’hôpital — ils vont plutôt bien. « Étonnamment bien », lit-on partout, survivants d’un séjour de quarante jours « sans ressources » dans l’épaisse forêt, déshydratés, dénutris, fatigués, bouffés par les insectes. Un « miracle », etc.
Si ce « fait divers » hors-norme nous fascine autant, c’est d’abord parce qu’il rejoint, dans l’imaginaire collectif, le domaine de ces contes mythiques où des enfants, livrés à eux-mêmes, affrontent des périls d’adultes et parviennent à s’en tirer. Et l’héroïne portée au pinacle des narrations journalistiques, c’est Lesly, petit chaperon qui, semble-t-il, a pris les choses en main pour assurer l’essentiel de la survie de la fratrie, dont celle d’une nourrissonne.
La leçon des quatre enfants nous fait mesurer combien « nous » avons accepté de nous déconnecter de cette nature.
L’ampleur de cet émerveillement planétaire nous invite à y réfléchir. L’immense majorité de l’humanité n’aurait probablement pas survécu plus d’une semaine sous cette canopée opaque, pleine de bêtes et d’insondables mystères. Parce que la leçon de survie des quatre enfants nous fait mesurer combien « nous » (elles et ils se reconnaîtront) avons accepté de nous déconnecter de cette nature, au point d’entretenir collectivement, en particulier par le maintien d’équipes dirigeantes inconséquentes, un « exceptionnel » aveuglement devant la destruction méthodique que nous faisons subir à nos milieux vitaux. Cette jungle, où des urbains ne se risqueraient que sous la protection de coûteux stages de survie, Lesly, Soleiny et Tien Noriel, enfants de la communauté autochtone Uitoto, la fréquentent depuis qu’ils savent où mettre un pied devant l’autre. Et si elle reste hostile, elle ne leur est pas plus cet « enfer vert » que nous aimons à nous représenter que la mer n’est un gouffre amer pour qui la navigue depuis le plus jeune âge.
Les enfants savent trouver de l’eau dans des lianes, identifier des fruits, des graines et des champignons comestibles parmi les végétaux toxiques, éviter quelques pièges mortels sous les feuilles. Lesly, à peine adolescente selon les critères occidentaux, s’occupait déjà de sa jeune sœur Soleiny dès l’âge de 5 ans. Les savoir-faire et la solidarité mobilisés par le petit groupe pour survivre ne sont rien d’autre qu’un mode de vie ancestral, qui nous épate d’autant plus que nous l’éprouvons de moins en moins au quotidien.
Enfin, cette universelle leçon de choses et de vie a également pris la dimension d’une parabole politique, en Colombie. Parce que les moyens mis en œuvre pour les retrouver et la pugnacité des équipes engagées à leur recherche sont à mettre au compte de la volonté personnelle de Gustavo Petro, premier président de gauche du pays, qui a fait de la réhabilitation des minorités ethniques un axe majeur de son mandat. Et il est tout sauf anodin qu’une des clés de la réussite de l’opération de sauvetage tienne à la coopération inédite des forces armées et des communautés autochtones de la région, quand ces dernières ont souvent été les victimes collatérales de la traque des guérillas qui ont ensanglanté le pays pendant un demi-siècle.
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