Le sexisme et les agressions sont « permis » : les hôtesses sont là pour ça
Clémentine Le Duey a été hôtesse d’accueil pour financer ses études. Elle veut mettre en avant les compétences de ces femmes, souvent jeunes, qui vivent au quotidien l’indignité de la réification.
dans l’hebdo N° 1762 Acheter ce numéro
« Le guide de l’hôtesse » distribué à l’occasion de Roland-Garros a fait réagir et a choqué. Clémentine Le Duey n’a pas été étonnée. Hôtesse d’accueil pour financer ses études, elle veut mettre en avant les compétences de ces femmes, souvent jeunes, qui vivent au quotidien l’indignité de la réification.
J’ai souhaité vous inviter dans ce monde mal documenté des hôtesses d’accueil. D’abord, je veux vous dire que, lorsque vous êtes étudiante et que vous cherchez par tous les moyens à financer vos études, vous vous imaginez qu’hôtesse c’est quand même mieux que McDo. En fait, c’est un métier « structuré sur des stéréotypes sexistes », comme l’affirme Sophie Binet, la nouvelle secrétaire générale de la CGT. Et elle a raison.
Première étape : le recrutement. En plus du CV, on vous demandera vos mensurations sous prétexte de tenues fournies, parfois même des photos. Plusieurs « bookeuses » ont déjà témoigné que cette étape constitue un tri raciste et grossophobe. Même les lunettes sont interdites ! Ensuite, on classe les filles selon leur physique. Si vous êtes dans les critères de « beauté », l’agence vous rappelle. On vous demande si vous avez le statut d’autoentrepreneur. C’est un détournement du droit qui devrait être illégal mais, même sur la base d’un Smic, on essaye de gratter quelques économies.
Passé ces étapes, on vous envoie le « brief », qui contient les informations sur votre mission, le lieu d’exercice et surtout l’apparence souhaitée. C’est un salon d’entreprise où la tenue est prise en charge (ce n’est pas toujours le cas), mais pas les chaussures, le maquillage et les collants. Vous commencez à compter combien vous allez gagner une fois les frais payés. On vous demande d’arriver trente minutes avant, ce n’est pas rémunéré mais c’est « poli ».
Vous enfilez vos escarpins et c’est parti. À 12 heures, les talons commencent déjà à vous faire mal. Mais s’asseoir est interdit. Même si on sait que le port prolongé de talons hauts en station debout provoque plusieurs maladies des pieds comme du dos, vos petits contrats ne permettent aucune reconnaissance d’une quelconque maladie du travail. L’ambiance entre collègues est sympa, vous êtes toutes jeunes, étudiantes et en galère, mais personne ne connaît ses droits. Alors, quand la pause du midi passe à la trappe faute de temps, on ne dit rien.
L’ambiance avec les invités est moins sympa, certains s’impatientent et vous n’avez évidemment aucune formation sur la gestion de foule. Vous devez demander un numéro aux visiteurs et c’est la cinquième fois en à peine une heure qu’on vous a demandé si vous donniez le vôtre en échange, entre autres « dragues ». Vous gardez le sourire, vous n’avez pas le choix, sous peine de ne plus être recrutée. Ça n’a rien d’une drague, en réalité, c’est leur pouvoir face à des jeunes femmes précaires qui n’ont pas le droit de moufter. Parce que notre apparence physique compte plus que nos compétences lors du recrutement. Le sexisme et les agressions sont « permis » : nous sommes là pour ça.
Ça n’a rien d’une drague, c’est leur pouvoir face à des jeunes femmes précaires qui n’ont pas le droit de moufter.
Enfin, c’est fini ! Des milliers de visiteurs accueillis, le réglage de cette imprimante qui ne veut jamais marcher, l’orientation des visiteurs en espagnol, en anglais, le désamorçage de conflits, la gestion de foule. Vous n’avez pas fait la plante verte, vous avez effectué un travail, avec des compétences, des savoir-faire.
Cette journée est inspirée de mon expérience et de celles de mes collègues. Personne ne demande à supprimer ce métier, mais bien à le revaloriser. La première chose à faire, c’est un bilan : les réalités sont diverses mais inconnues. Les travailleuses du secteur ne bénéficient quasiment jamais de la présence de syndicats. Elles sont jeunes, isolées, en mission à intervalles irréguliers. Cette situation les fragilise, un audit par le Défenseur des droits doit être réalisé. Des solutions existent pour diminuer cet isolement.
Pour commencer, il devrait être indispensable pour la sécurité des hôtesses d’interdire les missions où elles sont seules et de mettre en place des envoyés syndicaux pour qu’elles puissent avoir accès à leurs droits. Un retour des CHSCT dès onze salariés est nécessaire pour permettre d’offrir de meilleures conditions de travail et de lutter contre le sexisme inhérent à la profession. En premier lieu, en imposant des tenues qui permettent de réaliser le travail demandé (chaussures de ville, tailleur-pantalon, etc.). Enfin, mettre fin aux pratiques discriminantes et abusives passera d’abord par une reconnaissance des compétences mises en pratique : accueil, sécurité, animation, secrétariat… Les jeunes femmes qui travaillent possèdent déjà en partie ces compétences. Il faut les embaucher pour cela et rien d’autre, sans oublier de les former.
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