« Pornomelancolia » : introduction à la solitude
Manuel Abramovich aborde avec tendresse la misère affective par le biais du milieu du X gay.
dans l’hebdo N° 1763 Acheter ce numéro
Pornomelancolia / Manuel Abramovich / 1 h 34.
Sur le papier, Pornomelancolia était un projet risqué. Comment, en plongeant l’action dans le milieu du porno gay au Mexique, faire un film sur la solitude des êtres dans le monde moderne capitaliste sans complaisance voyeuriste ni, à l’inverse, dénonciation pesante ? Pour son premier long métrage, le réalisateur argentin Manuel Abramovich réussit ce pari difficile. Il a pour personnage principal Lalo, formidablement interprété par Lalo Santos, lui-même sexe-influenceur et acteur porno, dont la rencontre avec le cinéaste a été déterminante dans la réalisation de Pornomelancolia.
Le film est ainsi une fiction nourrie par la réalité (ou le documentaire), exactement comme ce que pratique son personnage, Lalo. Celui-ci construit une projection fantasmée de lui-même sur les réseaux sociaux en héros gay, corps sexualisé à outrance. On suit en direct ses interactions sur son téléphone, lui étant seul, sur son lit, comme tous les soirs, sans autres liens que les messages primaires (concernant essentiellement son pénis) qu’il reçoit de ses 190 000 abonnés.
Lalo répond un jour à une annonce pour un film porno sur la figure révolutionnaire nationale qu’est Emiliano Zapata. Manuel Abramovich trouve la bonne distance pour ne pas transformer son film en « reportage » sur le cinéma X : il reste auprès de son personnage. Lalo fait de son mieux avec son corps, s’exécute en professionnel, répond aux sollicitations du metteur en scène. Étonnamment, ce travail a des points communs avec son boulot précédent, à l’usine. C’est la machine (ou la caméra) qui détermine les cadences (soutenues dans le porno) ; les moments d’échange entre les « employés » ont lieu pendant les pauses ; et, surtout, la précarité est la même. En tant qu’autoentrepreneur de ses propres vidéos porno (ce qu’il devient dans un second temps), Lalo reste dépendant, en l’occurrence de la demande de ses abonnés. Il se croit libre, mais ne sort pas d’une aliénation qui atomise les individus.
Dans Les Particules élémentaires (1998), Michel Houellebecq évoquait déjà la misère affective que l’époque fabriquait. Il le faisait avec un mépris ironique totalement absent de Pornomelancolia. Au contraire, Manuel Abramovich, qui ne cherche en rien à choquer mais à interroger les stéréotypes de la masculinité, est dans une profonde empathie. Tout son film semble être baigné par les larmes inaugurales de Lalo, filmé dans la rue derrière une vitre le mettant à distance, environné par les passants indifférents. Pornomelancolia n’est pas un film de cul : c’est une belle œuvre de tendresse.