Procès « WaffenKraft » : la violence d’extrême droite en miroir
Ce 23 juin, plusieurs membres des groupes de discussions sur internet de la mouvance dite « ultradroite » sont venus témoigner au procès aux assises des quatre jeunes accusés d’association de malfaiteurs terroriste, à Paris. Ils ont exposé leurs liens et la teneur de leur engagement.
« Je suis royaliste, catholique et ancien militant de l’Action française ». Lucas Sztandarowski, qui se surnomme humblement « Maître de Saint-Just », se tient à la barre, emmitouflé dans un grand manteau noir. Ce vendredi 23 juin, il est venu témoigner, comme d’autres acteurs de la mouvance dite « ultradroite », au procès des quatre jeunes accusés d’association de malfaiteurs terroriste, dans le cadre de l’affaire dite « WaffenKraft ». Lucas Sztandarowski était le dirigeant de la bibliothèque dissidente qui diffusait des ouvrages censurés, parmi lesquels des manifestes incitant à l’action terroriste. « J’édite tous les ouvrages polémiques du spectre de la droite et de la gauche comme Le Petit Livre rouge de Mao et, effectivement, des ouvrages borderline qui m’ont valu une mise en examen pour apologie du terrorisme », dit-il innocemment.
En réalité, Lucas Sztandarowski ne fait pas que les éditer. Il les traduit aussi. C’est ainsi que Siege, le livre de James Mason – référence du groupe terroriste néonazi américain Attomwaffen Division – a largement été diffusé dans les milieux militants français. Ou encore le manifeste de Brenton Tarrant, auteur de l’attentat de Christchurch le 15 mars 2019, qui a fait 51 morts dans des mosquées. C’est d’ailleurs auprès de la bibliothèque dissidente qu’Aurélien Chapeau, condamné début 2022 à neuf ans de prison pour entreprise individuelle terroriste, s’est procuré cet ouvrage, ainsi que celui d’Evandre A. – accusé dans l’affaire WaffenKraft : Le fascisme expliqué à ma génération. Lucas Sztandarowski est un puissant vecteur de propagande.
– Vous avez été incarcéré ?, lui demande le président de la cour d’assises.
– Oui j’ai été en détention provisoire pendant un an et demi.
– Un an et demi pour une simple apologie ?, fait-il mine de questionner.
– Pour association de malfaiteurs terroriste, apologie et détention illégale d’arme, précise le témoin.
Lucas Sztandarowski fait l’objet d’une enquête ouverte en avril 2021. Son groupuscule Vengeance patriote intéresse particulièrement les enquêteurs. Il a été créé en avril 2018 par Papacito et Le Raptor, deux youtubeurs d’extrême droite, sous le nom initial de MonteUneEquipe. Objectif : lutter contre le « déclin de l‘Occident ». Un vaste projet qui rassemble les foules. Dans ce moment d’engouement, Julien et Gauthier – deux des accusés dans l’affaire WaffenKraft – intègrent ces groupes de discussions et se rencontrent. Julien, alias Hocky, veut devenir le référent de MonteUneEquipe pour sa région Centre-Val-de-Loire. Il discute beaucoup avec Lucas Sztandarowski, référent parisien.
« Imbibé idéologiquement »
Julien recrute via MonteUneEquipe pour ses propres groupes de discussions créés quelques mois plus tôt sur Discord (application de téléphonie et de messagerie instantanée, NDLR) : Oiseau noir – symbole des jeunesses hitlériennes – puis le projet WaffenKraft – puissance de feu en allemand – pour les plus initiés. Les plus motivés. Gauthier est intégré au projet WaffenKraft. Il a été jugé suffisamment imbibé idéologiquement : ne fait-il pas, face à l’objectif, un salut nazi devant le camp d’extermination d’Auschwitz à l’occasion d’un voyage en Pologne ?
De ces groupes où s’échangent sans limite des propos racistes et haineux sous couvert d’« humour », émergent des profils déterminés échaudés par une habituation et une banalisation de la violence. Papacito et Le Raptor semblent bien comprendre que MonteUneEquipe peut devenir un vecteur de création de milices qui peut vite échapper à leurs fondateurs. Ils s’éloignent du projet fin 2018 et laissent les reines à Lucas Sztandarowski, qui change le nom du groupe en Vengeance patriote : un espace de rassemblement de toutes les obédiences de l’ultradroite avec comme objectif la lutte contre le soi-disant « grand remplacement ». « Lucas voulait créer un groupe appelé Vengeance patriote pour faire des ratonnades » se souvient très bien Jordan*, qui témoigne au procès en visioconférence. Il a 16 ans au moment des faits, est membre du projet WaffenKraft mais échappe aux poursuites car il n’a pas participé à l’entrainement aux tirs de juillet 2018.
Le prénom a été changé.
Jordan rencontre Julien en « traînant dans des groupes politiques sur Discord », dit-il. Intégré à WaffenKraft, il discute avec « le chef » – Alexandre G. « Je voulais participer à une séance de tir moi aussi. J’ai demandé comment faire et il m’a dit que pour ça, je devais accepter de faire un « Film ». Alexandre m’a précisé que « Film » était un nom de code pour attentat », dit-il. Il se désiste, même si certains membres lui affirment que c’est une blague. De son côté Lucas – alias « naziepourlavie » – est intégré par Julien dans le groupe Discord « formation oiseau noire ». Il prétend n’être jamais entré dans le projet WaffenKraft sous prétexte d’une différence idéologique entre néonazis et royalistes. « Nous sommes ennemis, prétend-il à la barre. Les nazis sont racialistes, nous sommes assimilationnistes. Ils sont païens, nous sommes catholiques. Ils sont dans la violence, nous sommes dans la conciliation. Ils nous appellent les “traîtres à la race”, on les appelle les “gogols88” ». (88 évoquant deux fois la huitième lettre de l’alphabet soit « HH » pour « Heil Hitler »).
Un propos idéologiquement juste mais qui n’est pas si tranché dans la réalité. « Ça reste des détails, explique Jordan. Nazis et royalistes ont des points d’accord comme l’attachement à la France aux frontières et à la tradition politique et culturelle. Ils ont aussi la même image des Juifs. Les royalistes c’est par rapport au christianisme. Ils voient les Juifs comme une communauté organisée, riche et au cœur du pouvoir. Pour les nazis, c’est le fondement de leur idéologie. Nazis et royalistes s’unissent sur ça », affirme le jeune homme en ajoutant que « Lucas s’était vanté sur les réseaux sociaux de connaître ceux qui se sont fait arrêter. » Ceux qui comparaissent en ce moment devant la cour d’assises spéciale, accusés d’avoir voulu commettre des attentats.
À la barre, Lucas Sztandarowski dit que le jeune Julien n’était pas si dangereux :
– Les nazis ne sont pas forcément dangereux, ajoute-t-il.
– Des gogols88 avec un chef efficace ça peut être dangereux quand même !, lance le président un brin provocateur.
– Bah c’est la première affaire aux assises, répond benoîtement Lucas.
– Je parlais d’un point de vue historique, souffle le magistrat avant d’ajouter : nous n’avons peut-être pas les mêmes standards mais taper des gens dans la rue, c’est une dangerosité sociale.
– Oui mais là on parlait terrorisme sinon effectivement, Hocky était dangereux d’un point de vue de la violence…
D’après les différents témoignages, Julien avait développé une fascination pour « French crusader »- Alexandre G. principal accusé. À l’époque, gendarme adjoint, il prend progressivement la tête du projet WaffenKraft, distille ses velléités de passage à l’acte et diffuse ses vidéos d’entraînements. Elles sont projetées à l’audience. Celles du fameux entraînement collectif de juillet 2018 où l’on voit Julien et Alexandre masqués tirer en direction des arbustes tout en avançant. Mais aussi une vidéo tournée la nuit. French Crusader est seul. Il met en scène un « drive by shooting » : il tire avec sa kalashnikov depuis sa voiture sur des cibles de papiers accrochées dans un buisson, puis descend et tire de nouveau dans leur direction avec une forme d’acharnement.
Enumération
N’ayant pas participé à ces entraînements, Jordan comme d’autres membres de WaffenKraft échappent aux poursuites pour association de malfaiteurs terroristes. Ce qui offre à Me Fanny Vial, avocate d’Alexandre G., une faille à exploiter. Elle liste à Jordan les éléments connus à son propos : un de ses amis projetait un empoisonnement de l’eau potable alors qu’il travaillait à la compagnie des eaux. Jordan a participé à une descente violente dans un bar antifa avec l’Action française. Il a été adhérent de Génération identitaire, possédait une arme à poudre noire avec laquelle il se prenait en photo. Il avait même collé l’arme sur la tempe de sa petite amie de l’époque et allait tirer en forêt avec les armes de ses potes.
Alexandre G. n’a-t-il pas fait exactement ce que font toutes ces personnes dans ces groupes d’ultradroite ? Si l’objectif de Me Vial est évidemment d’affaiblir l’importance des actes préparatoires reprochés à son client, elle crée surtout, par cette énumération, un effet miroir inquiétant sur l’ampleur du phénomène violent dans les réseaux d’extrême droite.
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