Quand les marchés félicitent notre gouvernement

L’agence de notation Standard & Poor’s n’a donc pas dégradé la note de la France. Pour le gouvernement, c’est la preuve que le pays fait les réformes et est bien tenu, malgré les resquilleurs au RSA, les chômeurs qui ne veulent pas travailler et les immigrés qui profitent de notre générosité.

Denis Sieffert  • 7 juin 2023
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Quand les marchés félicitent notre gouvernement
© PHILIPPE HUGUEN / AFP

L’agence de notation Standard and Poor’s (S&P) n’a donc pas dégradé la note de la France. La nouvelle a été reçue avec d’autant plus d’enthousiasme à Bercy que le pessimisme avait gagné les allées du pouvoir. Ces affaires, me direz-vous, sont bien éloignées de nos préoccupations quotidiennes de salaires et d’inflation, de services publics et de justice sociale. Et ce monde est bien opaque.

En vérité, ce n’est pas la décision de ces gardiens du temple de la finance mondialisée qui retient notre attention, mais son exploitation empressée par Bruno Le Maire. À l’en croire, si la France n’a pas été sanctionnée en dépit d’un endettement abyssal de près de trois mille milliards d’euros, c’est que le gouvernement fait des réformes. Suivez le regard bleu horizon de notre ministre de l’Économie. C’est la réforme des retraites qui a sauvé la réputation du pays. Non seulement il faut tenir bon, en jouant par exemple d’un ultime subterfuge pour empêcher un vote hostile des députés, mais il faut poursuivre dans cette voie et montrer que la France est bien tenue, malgré les resquilleurs au RSA, les chômeurs qui ne veulent pas travailler et les immigrés qui profitent de notre générosité. Contre ceux-là, la « main de la France » ne tremble pas. Voilà sans doute ce que le ministre a plaidé le 17 mai devant l’état-major de S&P. Et il nous le dit : pour mériter la confiance des marchés, il faudra tailler massivement dans les dépenses publiques.

On ne contestera pas que la charge de la dette coûte cher – plus de 50 milliards d’euros cette année – ni que les « marchés » dictent leur loi libérale à nos gouvernements. Comme tout créancier, les marchés, en majorité des fonds d’investissement qui délivrent des obligations à l’État, exigent des garanties de solvabilité. Mais ils ne disent pas comment y parvenir. Car il n’y a aucune fatalité à ce que le désendettement se fasse sur le dos des classes populaires. Avant de s’attaquer aux dépenses publiques dont dépend la vie quotidienne de nos concitoyens, et qui vont devoir être accrues pour assurer la transition écologique, ne faut-il pas penser à augmenter les recettes ? C’est évidemment la chasse à la fraude fiscale, le retour à un impôt sur la fortune et à une fiscalité plus juste. Éternelle question du partage des richesses.

Il n’y a aucune fatalité à ce que le désendettement se fasse sur le dos des classes populaires.

La façon dont Bruno Le Maire a balayé d’un revers de main la proposition de l’économiste Jean Pisani-Ferry d’un impôt « exceptionnel et temporaire sur le patrimoine financier des 10 % de ménages les plus aisés » pour financer la transition écologique en dit long sur le caractère idéologique de la politique gouvernementale. Dès que l’on dit « impôt », le ministre brouille les pistes. On lui parle de Bernard Arnault, il nous parle de la caissière du supermarché. Pour protéger le premier, il tente d’effrayer la seconde. Pisani-Ferry, pourtant proche de Macron, dont il inspira le programme en 2017, a cette remarque de bon sens : « Il s’agit de convaincre les Français de ce que la charge est équitablement répartie. » On en est loin. Pire ! Une étude publiée le 6 juin par l’Institut des politiques publiques confirme que plus les ultra-riches sont riches, moins ils contribuent à l’impôt. La démarche du gouvernement n’y est pas pour rien. On ne sait d’ailleurs pas de quelle boîte à malice budgétaire la transition écologique va surgir. Il ne faudrait pas que S&P serve à déresponsabiliser le gouvernement devant ses propres choix. C’est-à-dire à vider notre démocratie.

Dans le genre arnaque intellectuelle, voici aussi Alain Minc (1). Financier prêchant pour sa paroisse, il nous invite à prendre en pitié les fonds de pensions. « Ce sont, dit-il, les instituteurs de Californie, les ouvriers du Michigan, les employés du bâtiment britanniques » qui confient leurs retraites à des gestionnaires. Quand nous combattons la réforme des retraites, ce sont donc nos « camarades » que nous volons. Vision aussi cynique que réductrice. On pourrait méchamment faire observer que ce sont les risques du système de retraite par capitalisation. Celui vers lequel veulent nous conduire MM. Le Maire et Macron. Mais les fonds de pension, ce sont surtout des financiers qui spéculent sur les économies des retraités captifs d’un système à haut risque. Cette touchante solidarité avec les pensionnés du capitalisme anglo-saxon, c’est le côté « marxiste » d’Alain Minc, comme il aime à le rappeler. Minc est un « marxiste » du genre de Warren Buffet, ce multimilliardaire qui se plaît à affirmer : « La lutte de classes existe, la preuve, c’est nous qui l’avons gagnée. »

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