Répression à tout-va contre les opposants aux fermes-usines
Huit militants sont désormais mis en examen et sous contrôle judiciaire pour avoir bloqué un train de céréales destiné à l’élevage industriel breton en 2022. Tous attendent le procès pour en faire celui de l’agro-industrie.
L’entrée du tribunal de Lorient était animée ce mardi 27 juin. Un joyeux cortège s’est réuni autour d’une cantine paysanne et d’un pupitre auréolé d’une banderole « Le procès de l’agro-industrie ». Tous sont venus soutenir quatre activistes du collectif Bretagne contre les fermes-usines, auditionnés en première comparution dans le cadre d’une enquête ouverte à la suite d’une action de désobéissance civile à Saint-Gérand (Morbihan). Le 19 mars 2022, une cinquantaine de personnes, certaines vêtues de combinaisons blanches, ont fait irruption sur la voie ferrée afin de bloquer un train de céréales destinées à alimenter des animaux d’élevages hors sol. Une partie de la cargaison de blé a été déversée au sol. Les militants avaient également construit un mur de parpaings sur les rails afin de symboliser « l’agro-industrie qui fonce droit dans le mur ».
« Nous avions ciblé cet endroit car c’est la voie de passage des céréales alimentant notamment la coopérative agricole Sanders. Il s’est avéré que ce train était destiné à la coopérative Le Gouessant, mais elles ont le même fonctionnement de monopole, qui est un désastre social pour les agriculteurs. Notre but était de dénoncer ce système de production hors sol qui outrepasse les limites territoriales de la Bretagne, et ce modèle d’intégration qu’on juge responsable des deux suicides d’agriculteurs par jour en France ! », détaille Axel, membre dudit collectif. Le parquet de Lorient avait ouvert une information judiciaire pour « entrave à la mise en marche ou à la circulation de trains, entrée irrégulière dans l’enceinte du chemin de fer, dépôt de matériau ou objets quelconques dans l’enceinte du chemin de fer, et dégradations de biens d’autrui, en réunion ».
Trois mois après l’action, des perquisitions ont lieu dans le centre de la Bretagne, à Brest et même chez les parents d’un militant à Paris. Axel a vécu cette perquisition comme une violence, ainsi que les autres personnes présentes dans le lieu de vie partagé où il habite. « Une quarantaine de gendarmes ont débarqué à 6 heures du matin, tous équipés d’armes à feu et de gilets pare-balles. Ils ont défoncé la porte à coups de bélier. Ils ont pris ordinateur, téléphone, des banderoles et tee-shirts du collectif Bretagne contre les fermes-usines, mais aussi du matériel appartenant à une association, qui n’a strictement rien à voir avec l’action. Rien n’a été restitué et il n’y a même pas de traçabilité. » Les gendarmes lui laissent les menottes jusqu’au soir. Sa garde à vue va durer trente-six heures et leurs diverses questions laissent penser qu’ils cherchent à déterminer le rôle de chaque personne dans cette action, ainsi qu’une esquisse de hiérarchie au sein du collectif. « Il n’y a pas eu de violence physique, mais un affrontement psychologique, se souvient-il. Ils prenaient un malin plaisir à manipuler les scellés de ma chambre devant moi. Mais ma ligne de défense était claire : garder le silence. »
Interdiction de quitter le territoire
Axel et trois autres personnes interpellées le même jour sont mises en examen et placées sous contrôle judiciaire. Celui-ci les oblige à pointer tous les quinze jours à la gendarmerie, leur interdit de quitter le territoire métropolitain, de manifester en Bretagne, de porter des armes, et d’être en contact avec cinq autres personnes. Pour Axel, cette dernière mesure l’oblige à devoir trouver un nouveau domicile car il n’a plus le droit d’être en contact avec certaines personnes du lieu de vie partagé où il vivait.
Étienne aussi a vécu une perquisition à cette période, mais « plus tranquille » que celle d’Axel, et une garde à vue d’environ huit heures. « Ils nous ont retrouvés sûrement par les photos et vidéos de presse car l’action était revendiquée et médiatisée, notamment par celles et ceux qui avaient décidé de s’afficher et de s’exprimer. Pour ma part, on ne me voit pas tellement, je ne sais pas pourquoi je me suis retrouvé sur leur liste. Mais ils m’ont dit que je ne pouvais pas nier ma présence sur la voie ferrée car mon téléphone bornait là-bas. » Contrairement aux autres, Étienne ressort sans contrôle judiciaire. Près d’un an après, le 5 juin 2023, lui et trois autres personnes reçoivent une convocation pour une comparution devant le juge d’instruction le 27 juin. Après cette journée d’interrogatoires, il y a au total huit personnes mises en examen et sous contrôle judiciaire. D’autres pourraient avoir lieu dans les prochains mois.
Parmi eux, Julien Hamon, maraîcher bio à Sarzeau et porte-parole de la Confédération paysanne 56. Le syndicat agricole n’était pas partie prenante de l’action de blocage du train, mais pour Julien Hamon y participer en tant que citoyen était une évidence. « Je fais du travail institutionnel depuis des années pour faire évoluer les choses au niveau départemental, régional, national, et je compte bien continuer, mais je vois bien que ça ne suffit pas ! Les plans écophyto, qui ont coûté des millions d’euros, sont des échecs, tout comme les plans algues vertes, et on attend toujours la mise en place d’un plan protéines végétales pour réduire notre dépendance aux importations de soja qui arrivent par le port de Lorient ! », clame-t-il.
« Je l’ai fait par nécessité »
Il n’a pas été visé par la première vague d’arrestations en juin 2022, mais, en août, il a officiellement revendiqué sa participation à l’action, tout comme une vingtaine de personnes. « J’étais le premier à être convoqué au mois d’octobre. J’assume ma participation à l’action mais je ne l’ai pas fait par plaisir, je l’ai fait par état de nécessité car aujourd’hui, le dialogue avec la FNSEA en Bretagne, et notamment dans le Morbihan, est impossible », ajoute-t-il. Dans leur premier communiqué la FDSEA 56 parlait de « groupuscules, décroissants en tout genre », et « d’acte qualifiable de terroriste, totalement irresponsable ». En mars 2023, la FDSEA et les Jeunes Agriculteurs ont franchi une étape supplémentaire en demandant au préfet l’exclusion de la Confédération paysanne « de toutes les instances officielles du département, régionales et nationales, et qu’ils ne perçoivent plus de subventions publiques ».
Pour leur avocat, Me Jérôme Bouquet-Elkaïm, « il y a une volonté répressive de la part de l’agro-industrie, relayée par l’État et aujourd’hui par le pouvoir judiciaire : On n’est pas sur des mouvements terroristes ! Les actions sont revendiquées, il n’y a pas de volonté affichée des personnes d’échapper à la justice. La justice doit prendre en compte la nature des faits, et le profil des personnes. » Pour les quatre nouvelles personnes mises en examen, le contrôle judiciaire a été allégé, notamment en enlevant l’obligation de pointage et l’interdiction de manifester.
Chose assez inédite : ce dossier compte une dizaine de parties civiles. Les victimes directes de l’action comme la SNCF Réseau ainsi que les acheteurs de la cargaison. Mais aussi la FNSEA, sa déclinaison régionale, la FDSEA Morbihan ainsi que plusieurs syndicats de blé, maïs et oléagineux. « D’autres actions militantes ont eu lieu ces dernières années, notamment celles des faucheurs volontaires ciblant les importations de soja OGM sur le port de Lorient et le port de Brest. Des actions pas moins graves que celle du train, mais qui n’ont jamais donné lieu à des poursuites judiciaires, explique Me Bouquet-Elkaïm. Jusque-là, les acteurs de l’agro-industrie avaient fait le choix de fuir un peu le débat. Cette fois, il aura lieu lors d’un procès. »
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