« Scars » : la force d’une voix cabossée
Chanson, jazz, soul… La puissance de la musique de Sandra Nkaké la rend imperméable aux étiquettes.
dans l’hebdo N° 1761 Acheter ce numéro
Scars / Sandra Nkaké /Pias
Pour son premier album en six ans, Sandra Nkaké a choisi un titre qui en affiche d’emblée l’esprit : Scars (« Cicatrices »). C’est aussi le titre d’un morceau situé au milieu du disque mais qui aurait pu constituer un parfait préambule : « Mes ancêtres sont partis de Jebale / Mes aïeux se sont installés à Fiko / À onze ans je suis partie de Yaoundé / Ces voyages ont laissé des traces. »
Ce sont des récits intimes, de ceux qui ne peuvent s’énoncer qu’une fois les traumatismes dépassés. Ce qu’illustre parfaitement « Under My Skin » dans ce constat réconfortant : « Mes cicatrices sont déposées sous ma peau / Des souvenirs de pertes dans la profondeur de mes yeux / Je crois que mon cœur brisé est prêt / Le temps de la guérison est venu pour moi. »
En français ou en anglais, au-delà de sa propre histoire, Sandra Nkaké chante la condition d’une femme noire, née en Afrique, qui a connu le déracinement et les violences de toutes sortes. Pour elle et pour d’autres : la notion de sororité est très présente dans ses textes, notamment le très beau « Sisters ». Son chant n’est pas une plainte, plutôt « un cri contre l’oubli » (« Terre rouge »). Son message possède la force de celle qui peut affirmer aujourd’hui : « La douleur ne m’abattra pas / Je ne serai pas commandée par la rage. » Il revendique comme politique l’expression d’une intimité.
Fragilités et puissance
Sandra Nkaké possède une voix qu’elle qualifie elle-même de cabossée ou d’éraillée, une de ces voix qui tirent de leur fêlure une personnalité et une force singulières. Elle trouve dans l’acceptation de ses fragilités toute la magie d’une émotion pure. Elle a parfois avec l’auditeur cette proximité sensuelle d’un souffle sur la peau. À d’autres moments, sa puissance est fascinante.
Elle est accompagnée de musiciens délicats qui œuvrent avec la précision de tisserands et agencent, chacun déroulant le fil qu’il tire de son instrument, une trame complexe aux chatoiements lunaires et soyeux à laquelle un vent doux, si bien symbolisé par les chœurs, vient imprimer un mouvement de vague paisible. À commencer par Jî Drû, complice fusionnel qui, comme pour l’album Nothing for Granted en 2012, cosigne les compositions avec Sandra Nkaké et est crédité à la freak guitare (sic), aux percussions, claviers et chœurs, mais dont nous retiendrons plus que tout la flûte qui accompagne la chanteuse dans chacun de ses pas, comme une ombre, mais une ombre lumineuse – n’ayons pas peur des oxymores. Et oublions les étiquettes, dont la musique de Sandra Nkaké s’affranchit totalement.