Sénatoriales : à gauche, l’union au petit trot

Lors des élections de 2017, la gauche n’avait fait l’union que dans deux départements. Six ans après, le 24 septembre, elle a l’occasion de renforcer ses troupes à la Chambre haute. Pourquoi ne pas partir ensemble ? Les discussions et les négociations ne sont pas toujours faciles, mais aucune porte n’est fermée.

Louis Heinrich  • 5 juin 2023
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Sénatoriales : à gauche, l’union au petit trot
© Xose Bouzas / Hans Lucas AFP.

Le Sénat aurait-il redoré ses moulures et dépoussiéré sa moquette rouge ? L’examen de la réforme des retraites, en mars, semble en tout cas avoir revigoré la Chambre haute du Parlement. De la tactique, des alliances, des coups de gueule et des clés de bras : ce n’était pas l’Assemblée nationale, mais presque. Au centre du jeu, la gauche a tenté de jouer les trouble-fête, en vain. Unis face à la majorité de droite, on a vu socialistes, communistes et écologistes main dans la main. Ce n’était pas la Nupes, mais presque. « D’autres combats arrivent », promet le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard.

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Pour étoffer ses rangs, la gauche compte sur les élections sénatoriales, qui se dérouleront le 24 septembre. Comme tous les trois ans, la Chambre haute sera renouvelée par moitié. 170 sièges sont en jeu, occupés par les sénateurs de la série 1, élue en 2017. Et les groupes de gauche sont largement concernés par cette échéance, puisque les sièges de 33 des 64 socialistes, de 11 des 15 communistes et de 3 des 12 écologistes sont à défendre. Particularité des élections sénatoriales : le mode de scrutin varie en fonction du peuplement de chaque département. Pour les moins peuplés, où un ou deux sénateurs sont élus, le scrutin majoritaire à deux tours est appliqué. Dans les départements où trois sénateurs ou plus sont élus, le scrutin de liste à représentation proportionnelle est en vigueur. C’est le cas pour 27 des 45 départements en jeu en 2023. Soit 27 unions de la gauche potentielles.

« Sans union, je n’aurais pas été candidat »

Une Nupes 2.0 version Sénat ? L’idée est alléchante. La mise en œuvre, moins évidente. En 2017, la gauche n’était partie totalement unie que dans deux départements : le Val-de-Marne et l’Isère. La recette ? « Nous avions mis sur la table ce qui nous divisait. Le fait d’en discuter avait permis de se rendre compte qu’on pouvait se retrouver sur le principal. On s’était demandé ce qui serait utile et on avait mis des noms sur une liste ensuite », résume le sénateur de l’Isère Guillaume Gontard, grand artisan de l’alliance.

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À Paris, les discussions sont en cours entre le PS et le PCF, qui revendique un sénateur dans la capitale. Le sortant PS Rémi Féraud sera tête de liste quoi qu’il arrive. La deuxième place reviendra donc à une femme, en l’occurrence Marie-Pierre de La Gontrie, elle aussi socialiste sortante. C’est la troisième place qui fait débat. Sur la liste émise, mi-mai, par le conseil fédéral de Paris du PS, c’est le conseiller régional d’Île-de-France Maxime des Gayets qui l’occupe. Mais sa position pourrait être menacée par l’union : « Si nous partons ensemble, la place de troisième pour Ian Brossat est importante et ne serait pas contestée. C’est une personnalité majeure à Paris », considère le responsable des élections du PCF, Pierre Lacaze.

Mais Maxime des Gayets est le seul soutien d’Olivier Faure parmi les socialistes en position éligible : « Pour la direction nationale du parti, sa troisième place n’est pas négociable », souffle une élue parisienne. D’autant que Bernard Jomier, sortant apparenté PS, est lui aussi sur les rangs pour intégrer l’union. Dans le cas où Maxime des Gayets se retrouverait septième et non éligible, « ça refroidirait encore les relations au sein du parti », soupire l’élue socialiste. Voilà l’enjeu de ces sénatoriales dans la capitale : en filigrane, un duel entre les lignes, Faure contre Hidalgo. Les plaies ouvertes par le congrès du PS n’ont pas cicatrisé. 

Ailleurs, la désunion avait coûté des sièges. Comme en Indre-et-Loire, où les trois sénateurs avaient été élus sous les couleurs de la gauche en 2011. « Aucun de nos sortants n’était reparti en campagne. Nous étions divisés. La gauche n’avait plus de candidat naturel et chacun y était allé pour jouer sa carte personnelle », se rappelle le maire de Langeais, Pierre-Alain Roiron. Quatre listes de gauche s’étaient maintenues. Dispersion totale et siphonnage mutuel. Bilan : trois sièges perdus. Un fiasco. Six ans plus tard, Pierre-Alain Roiron assure que la gauche locale a retenu la leçon : « Ici, tout le monde a compris que changer les choses passait par l’union. » C’est lui qui mènera la liste progressiste pour reconquérir au moins un des sièges perdus, arguant que « sans union, [il] n’aurai[t] pas été candidat ». Il a encore quelques semaines pour parvenir à une alliance, le dépôt des listes ayant lieu entre les 4 et 8 septembre.

Accord gagnant-gagnant ?

Ces négociations à petite échelle s’inscrivent dans la logique du mode de scrutin indirect, celui des grands électeurs. Pour le politologue Bruno Cautrès, « l’union ne peut se faire que département par département ». Alors, pas question de parler de programme national, comme pour la Nupes en 2022 : « Les équations personnelles des élus restent majeures. Les élections sénatoriales sont bien trop sensibles au réseau personnel des candidats. » Un constat que partage la conseillère du 11e arrondissement de Paris Emma Rafowicz, qui redoute « un moment où nous sommes parfois captifs de baronnies locales. Cela dépend de la volonté des grands électeurs ».

Les équations personnelles des élus restent majeures.

D’élus locaux, La France insoumise en a très peu. Et n’a donc aucun sénateur à la Chambre haute. Très favorable à l’union, LFI veut profiter de l’occasion pour « faire entrer au Sénat [sa] force politique » et corriger cette « anomalie », expose le négociateur insoumis et député Paul Vannier, qui compte sur « des contingents de grands électeurs insoumis qui permettraient de conserver, voire de faire basculer certains sièges ». Sans remettre en question la légitimité des sortants, LFI, qui « peut contribuer à des conquêtes », veut proposer un accord « gagnant-gagnant ». Du côté des communistes, on souhaitait que les discussions aboutissent avant la fin du mois d’avril. Mais le cas de LFI a coincé : « Ils souhaitent qu’une des formations de gauche leur donne un sénateur. C’est très compliqué », prévient le responsable des élections du PCF, Pierre Lacaze. Une deadline ? « Tout le monde sera en campagne le 10 juin », assure le communiste. Et si aucun accord n’est trouvé, tant pis pour l’union : il y aura des candidats insoumis autonomes.

« Le Sénat nous appartient aussi »

« On sait qu’on ne va pas renverser le Sénat », tempère Guillaume Gontard, pour qui la conquête de cinq ou six sièges serait déjà une victoire. Au-delà des places, l’idée du renouvellement des élus fait aussi son chemin. « Il faut faire émerger une nouvelle génération de socialistes », plaide Alexandre Ouizille depuis l’Oise. Premier secrétaire de la fédération du PS, fraîchement reconduit à 95 %, il revendique la tête de liste d’union de la gauche dans le département. Et ce malgré le fait que Laurence Rossignol, vice-présidente du Sénat, s’était positionnée pour un nouveau mandat. Mais ici, pas de prime aux sortants. Ni aux anciennes ministres, d’ailleurs : Alexandre Ouizille organise déjà l’union derrière lui. Et le socialiste de constater à regret qu’« une fois de plus le renouvellement générationnel sera assez limité lors de cette élection ».

Les partis jouent un rôle de verrou et maintiennent un entre-soi.

Un diagnostic que partage la conseillère écologiste de Paris Alice Coffin : « Il y a des sphères monopolisées auxquelles tout le monde n’a pas accès. Le Sénat nous appartient aussi. » Longtemps dans la course pour l’élection à la Chambre haute, Alice Coffin revendiquait la tête de liste d’EELV à Paris, bien qu’elle ait été devancée par Antoinette Guhl à l’occasion d’une consultation interne. La militante féministe avait fait de l’entrée « des cibles de l’extrême droite » au Sénat son cheval de bataille. Mais la direction du parti l’a écartée sur le fil : « Quand on remet en question le cadre, on s’en prend aux militants eux-mêmes, et ce n’est pas acceptable », fustige le délégué aux élections d’EELV, Olivier Bertrand. La conseillère de Paris, elle, ne décolère pas : « Les partis jouent un rôle de verrou et maintiennent un entre-soi. »

De nouvelles têtes au Sénat ? Peut-être, mais pas à gauche. Dans le Nord, près de quinze listes, dont six de gauche, devraient être déposées. À force de désunion, c’est le Rassemblement national qui pourrait tirer les marrons du feu et profiter de l’éparpillement pour faire élire un sénateur.

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