« Bleu guitare » : Los Angeles, loin des clichés
Simon Baril décrit les déambulations de son narrateur dans un Los Angeles désolé.
dans l’hebdo N° 1761 Acheter ce numéro
Bleu guitare / Simon Baril / La Tengo éditions/ 160 pages / 18 euros.
Bleu guitare, le premier roman du traducteur Simon Baril, est une plongée désespérée dans Los Angeles. Son narrateur a quitté la France pour s’y installer et devenir musicien. Lorsqu’on le rencontre, sa guitare traîne dans une sacoche au milieu de son studio. Quelques années plus tôt, une agression l’a privé de l’usage de ses mains. L’accident a eu lieu juste après un concert qui devait lancer sa carrière dans un célèbre club du Sunset Strip. Traumatisé, le personnage s’enlise. Les mains atrophiées et endolories, il ne dort plus et déambule la nuit durant dans une ville où des kilomètres séparent les quartiers qu’il arpente. Son accident a fait de lui un paria, un piéton, là où les habitants intégrés de la cité ne se déplacent qu’en voiture. Dans son immeuble, il écoute un couple se disputer violemment, croise leur fils livré à lui-même et échange quelques mots avec un voisin rebelle et accueillant.
Le livre accumule les vignettes évocatrices sans toutefois jamais tomber dans le cliché.
Bleu guitare se présente comme un récit. Le narrateur décide de se battre contre la douleur causée par ses mains pour raconter son histoire dans un carnet qui ne le quitte jamais. Le style est vif et le texte morcelé. Certains paragraphes dissociés les uns des autres rendent compte de ses pensées pour mieux introduire des pages plus classiques où le personnage décrit des épisodes de sa vie. Les sensations que procure Los Angeles sont amenées avec attention : la chaleur, les odeurs, le contraste entre l’air pollué des enclaves urbaines et celui, marin, de l’océan, la fatigue engendrée par les heures de marche, par le bruit et par la misère qui rôde à chaque coin de rue. La langue d’un homme qui vit entre deux pays est également retranscrite avec précision.
Le narrateur écrit en français mais cette langue n’est plus la sienne. Comment se la réapproprier ? À plusieurs reprises, il se plaint de ne pas trouver les mots, mais Simon Baril, lui, en traducteur qui s’est mille fois posé la question du passage de l’anglais au français, a toujours l’expression juste. Des « immeubles de pacotille aux airs de motel » aux « maisons californiennes en stuc », des « bonhommes gonflables qui flottent » devant les stations-service à l’enseigne d’un gentlemen’s club, le livre accumule les vignettes évocatrices sans toutefois jamais tomber dans le cliché.