SNU : la logistique déraille, les jeunes trinquent
Bus annulés, retard de trains, changements d’affectation, rendez-vous déplacés, mineurs sans billets, surdépenses… L’ouverture de la session de juin a connu de nombreux dysfonctionnements, obligeant le gouvernement à pointer du doigt l’agence de voyages Travel Planet, le sous-traitant.
Alors que Sarah El Haïry présentait confortablement, jeudi 15 juin dans Le Figaro, l’avenir du SNU au sein des lycées – ce que Politis avait révélé un mois plus tôt – les équipes de terrain qui organisent les séjours de cohésion sortaient d’un « véritable enfer ». Pendant tout le week-end précédant le premier jour de la session de juin, dimanche 11 juin, les services départementaux à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (SDJES) ont dû faire face à une longue série de dysfonctionnements logistiques que le gouvernement impute au prestataire en charge des transports, Travel Planet.
Les désordres ont été tels que la direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA), rattachée au ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse, s’est sentie obligée d’écrire directement aux parents des jeunes volontaires. Dans un courrier daté du 14 juin que Politis a pu consulter, son directeur, Thibaut de Saint Pol, tient à « présenter [ses] excuses » face à « l’inquiétude bien légitime qu‘ont pu susciter ces perturbations ». D’après nos informations, le cabinet de Sarah El Haïry enchaîne les rendez-vous pour éteindre l’incendie. L’équipe de la secrétaire d’État a promis aux organisations syndicales, reçues le 15 juin, que « tout sera fait pour que ça ne se reproduise plus ».
Contacté, le cabinet de Sarah El Haïry n’a pas répondu à nos questions mais nous a renvoyé vers la DJEPVA. À Politis, Thibaut de Saint Pol confirme la demande faite à l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche d’ouvrir une mission afin de « faire la lumière sur les dysfonctionnements constatés ».
Depuis ces deux jours « cauchemardesques », le gouvernement braque ses projecteurs sur le prestataire, Travel Planet, alors que la start-up avait remporté l’appel d’offres au début de l’année pour un contrat de 120 millions d’euros sur quatre ans. L’entreprise devrait donc s’occuper du futur SNU dans les lycées, sauf si, suite à ces déboires, l’exécutif en décide autrement. Sur cette question, la DJEPVA répond sobrement qu’une enquête administrative est en cours. Du côté de Travel Planet, le service communication explique que face au « projet ambitieux » que représente le transport des jeunes effectuant le SNU, « il peut arriver qu’il y ait des impondérables qui donnent lieu à des changements de dernière minute ». Que s’est-il passé pour en arriver là ?
« Après la gare, on va où ? »
L’appréhension habituelle des jours qui précèdent le grand départ a, cette fois-ci, pris une tout autre envergure. Dans la nuit de vendredi à samedi 10 juin, plusieurs SDJS constatent sur la plateforme interne du SNU que le plan de transport, conçu par Travel Planet, n’est pas finalisé. De nombreux trajets en bus ont été supprimés. Certains sont remplacés par des trains aux horaires inconnus ou changeants. D’autres n’ont aucune solution de remplacement. Pour les SDJES, il faut se débrouiller. Dans quelques heures, des milliers de jeunes sont censés partir.
Des parents ont reçu des mails, des SMS, parfois en pleine nuit, pour les informer des nouveaux changements.
Les communications aux familles se multiplient au fil de l’eau. « Des parents ont reçu des mails, des SMS, parfois en pleine nuit, pour les informer des nouveaux changements », soupire un conseiller du SDJES. Certains parents n’ont même pas eu vent des dernières nouvelles. Se rendant au point de rendez-vous du bus, comme il était prévu initialement, ils découvrent qu’il faut repartir. Parfois à une gare à des dizaines de kilomètres, parfois chez eux, en attendant d’en savoir plus. Sur Twitter, plusieurs d’entre eux se plaignent de ces situations :
Dans plusieurs départements, des centaines de jeunes ont vu leur départ retardé. Certains d’entre eux n’ont pu rejoindre leur centre d’affectation que le mardi, soit deux jours après le départ officiel. Parfois, le prestataire n’a pas livré suffisamment de billets SNCF pour les volontaires. C’est le cas notamment en Haute-Loire. En gare de Toulouse, près de 80 jeunes étaient dépourvus de tickets de transport. L’intervention de la police, qui refusait de les faire monter dans un train, aurait été communiquée au secrétariat d’État à la jeunesse, pour atterrir finalement sur le bureau du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Les volontaires ont quand même pu gagner leur wagon : mais sans places attitrées, ils ont dû faire le voyage debout, pendant deux heures. Pour Thibaut de Saint Pol, il s’agit d’un problème « d’impression de ticket pour certains jeunes ».
Des gamins ont dû rester en gare, sans information pour la suite du voyage.
En Auvergne Rhône-Alpes, des jeunes auraient même été contraints de dormir en gare. Un des problèmes majeurs auxquels se sont confrontés les SDJES, et les jeunes volontaires, c’est l’ultime déplacement entre la gare SNCF et le centre SNU. « Le prestataire n’avait prévu aucun bus. Mais les centres SNU, dans les zones rurales, sont loin des grandes gares du département. Des gamins ont dû rester en gare, sans information pour la suite du voyage », raconte un conseiller. Un autre précise que dans son département, la préfecture a dû réquisitionner des cars en urgence.
Des déboires et des coûts
Le SNU voulant répondre à son objectif de mixité sociale et géographique, les jeunes atterrissent dans des villes où ils n’ont aucun repère, à des centaines de kilomètres de leur domicile. C’est le cas de plusieurs groupes arrivant à Paris qui, seuls, se sont aperçus qu’il fallait changer de gare pour poursuivre leur voyage. Conséquence de cette usine à gaz : sur le qui-vive, les équipes de l’État ont dû puiser dans le budget pour régler… des frais de taxi entre les gares de la capitale. Thibaut de Saint Pol confirme : « des VTC ou taxis ont été utilisés pour permettre aux jeunes de rejoindre le centre lorsque le prestataire de transport a fait défaut dans les derniers kilomètres. »
Certains SDJES ont aussi dû solliciter eux-mêmes des sociétés de cars scolaires pour anticiper les retours du SNU, douze jours plus tard. Des frais supplémentaires qui s’élèveraient, dans certains départements, à plus de 60 000 euros. Dans la réponse qu’il nous a communiquée, Thibaut de Saint Pol ne répond pas à la question sur le montant total de ce surcoût.
Dans un mail adressé aux préfets affiché sur Twitter, le syndicat de l’encadrement de la jeunesse et des sports alerte sur « l’insécurisation des transports des volontaires des séjours SNU ». Par la voix de son secrétaire général adjoint, l’organisation fait part de sa « forte inquiétude sur les retours des séjours de juin ainsi que les transports des séjours de juillet. »
La collaboration de Travel Planet avec le ministère de l’Éducation nationale commence mal, puisque seulement quelques semaines après avoir remporté l’appel d’offres, l’entreprise avait déjà connu certains dysfonctionnements pour les sessions d’avril. « Notre logiciel est ultra-personnalisable. C’est ce qui plaît aux clients », se vantaient pourtant dans Nice-Matin les cogérants de cette entreprise qui se félicitaient, depuis cette année, une « hypercroissance ».
Tous les syndicats alertent le ministère de l’Éducation nationale et la secrétaire d’État sur l’état de fatigue généralisée des équipes des SDJES, celles à l’échelle des régions et de l’administration centrale. Plusieurs d’entre elles ont dû enchaîner les nuits blanches. « Les collègues sont épuisés », répète-t-on à Politis. Des arrêts ont été pris pour récupérer. « Ma collègue était au bord des larmes, dimanche soir », souffle-t-on en Nouvelle-Aquitaine. Face à ces « dangers », Solidaires Jeunesse et sport a déposé, mardi 20 juin, un préavis de grève pour tous les personnels de la Jeunesse et des Sports jusqu’au 17 juillet.
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