« Vers un avenir radieux » : le cinéma fait homme
Nanni Moretti renoue avec l’esprit de ses premiers films avec bonheur.
dans l’hebdo N° 1764 Acheter ce numéro
Vers un avenir radieux / Nanni Moretti / 1 h 37.
Le cinéma figure dans (presque) tous les films de Nanni Moretti. On se souvient par exemple du Docteur Jivago diffusé par un poste de télévision à côté de la piscine de Palombella Rossa (1989). Parfois, même, l’un des protagonistes est cinéaste. Comme Margherita (Margherita Buy) dans Mia Madre (2015), Michele dans Sogni d’Oro (1981) ou Giovanni dans Vers un avenir radieux, que Moretti interprète tous deux.
Après le sombre Tre Piani (2021), et quelques autres films à la tonalité grave, Nanni Moretti renoue avec l’esprit de ses premiers films et le personnage qu’il y incarnait : Giovanni (dont Nanni est le diminutif) est un cinéaste et un mari atrabilaire, amoureux des chansons de variété, en butte aux travers de son époque. Il s’apprête à tourner son nouveau film dont l’action se déroule en 1956 à Rome dans une cellule du Parti communiste italien (PCI), alors que les troupes soviétiques envahissent la Hongrie soulevée.
Rapprocher Sogni d’Oro, le troisième film du réalisateur, et Vers un avenir radieux, son quinzième, amène à constater, d’une part, que les clins d’œil du second au premier sont nombreux (jusqu’au plaid multicolore que Giovanni pose sur lui quand il regarde un film, semblable à celui de Michele) ; et surtout que les cibles de Nanni Moretti n’ont pas changé. À ceci près qu’elles portent un autre nom. Il y a quarante ans, c’était la vulgarité de la télévision (avant même l’essor de celle de Berlusconi) ; aujourd’hui, c’est Netflix et sa logique de plateforme et de contenus, objet d’une séquence hilarante, où l’on retrouve l’intransigeance de Moretti sur les mots employés. Autre cible : la violence gratuite au cinéma, qui donne lieu à une nouvelle séquence très drôle, Giovanni interrompant pendant des heures le tournage d’une scène de meurtre d’un autre film que le sien pour tenter de convaincre qu’il n’y a là que fascination et divertissement.
Fidélité à soi-même et moments suspendus
Mais tout ne se ressemble pas car rien n’est jamais pareil. Du temps a passé, c’est flagrant dès les premières images. Alors que Giovanni expose le thème de son film à son équipe, un jeune comédien manifeste son incrédulité devant le fait que l’Italie ait connu des communistes… Pour autant, Vers un avenir radieux n’est pas une charge sarcastique contre la disparition de la culture historique ou politique. Là encore, Moretti a recours à l’humour, moins acerbe cependant que précédemment. Les événements de 1956 ne sont plus dans les esprits, mais cela n’empêche pas Giovanni d’être convaincu de la nécessité de son film. Les images d’archives des chars russes dans les rues de Budapest ont d’ailleurs un effet inattendu de contemporanéité pour nous, spectateurs, qui assistons à la guerre en Ukraine. Moretti avait conçu son film avant l’agression russe. Il n’empêche : ce qui semble daté et oublié ressurgit parfois doté d’une actualité nouvelle…
Le réalisateur de Journal intime ne joue pas non plus sur la corde de la nostalgie. Il reprend pourtant un certain nombre de récurrences de ses films antérieurs. Comme le fait de taper dans un ballon. Le corps n’a plus la même souplesse ni la même rapidité qu’auparavant. Mais il y a là une fidélité à soi-même. Et pour l’amoureux des films de Moretti, ces scènes sont le témoignage de nos parcours communs, cinéaste comme cinéphiles.
ll faut être profondément pessimiste pour voir dans ce nouvel opus l’annonce d’un prochain retrait.
Il en va de même pour les airs de variété qui l’accompagnent depuis ses débuts et dont il parsème encore ce film-ci. Dans Aprile (1998), il était question d’une comédie musicale imaginaire avec pour héros un pâtissier. Nanni Moretti affectionne ces moments suspendus de chants et de danses. Vers un avenir radieux marque un pas de plus vers un véritable projet de comédie musicale. Il faut être profondément pessimiste pour voir dans ce nouvel opus l’annonce d’un prochain retrait, une forme de film prétestamentaire (certains, à Cannes, où le film était en compétition, l’ont interprété comme tel). Au contraire. En changeant même le cours de l’histoire du PCI par un coup de force scénaristique, Nanni Moretti proclame plus que jamais sa foi dans le cinéma. Et c’est particulièrement réjouissant.