Avignon « off » : relais de femmes
Dans La Vie en vrai, Marie Fortuit, accompagnée de la musicienne Lucie Sansen, relie son univers théâtral à celui de la chanteuse Anne Sylvestre. Entre des époques et des styles différents, elle tisse des liens subtils. D’une femme à l’autre, les combats continuent.
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Dans la multitude des spectacles du Off d’Avignon 2023 – pas moins de 1 491 spectacles sont annoncés –, La Vie en vrai offre un bel espace de douceur et d’intelligence. La comédienne, autrice et metteuse en scène Marie Fortuit, en duo avec la pianiste Lucie Sansen, partage son goût pour Anne Sylvestre, qui a beaucoup chanté les femmes, leur force, leurs douleurs et leurs combats. Cette plongée dans un répertoire très riche, poétique autant qu’engagé, est fondatrice pour Marie Fortuit : en 2020, année de la mort d’Anne Sylvestre, elle crée sa compagnie, Les Louves à minuit, dont La Vie en vrai est le premier spectacle. Pour elle qui aime à mêler sa discipline à d’autres – le football ou la chanson populaire – et donner forme à son féminisme, La Vie en vrai a presque valeur de manifeste.
Anne Sylvestre fut beaucoup plus qu’une « Brassens en jupons », une artiste avec son esthétique et ses engagements.
En ouvrant leur pièce sur des paroles diffusées en voix off de Michèle Bernard, chanteuse contemporaine et amie d’Anne Sylvestre, Marie Fortuit et Lucie Sansen s’inscrivent d’emblée à la suite non pas d’une seule artiste, mais d’une constellation de femmes qui les ont précédées. En mêlant ses mots à ceux d’une dizaine de chansons brossant pour la plupart des portraits féminins, la comédienne développe une écriture délicate, dont les différentes couches cohabitent avec intelligence. L’autoportrait que Marie Fortuit déploie par fragments, entre deux chansons qu’elle interprète avec sa fraîcheur de néophyte en matière musicale, contraste avec bonheur par son écriture très orale et minimaliste avec les textes d’Anne Sylvestre, plus denses, plus proches de la fable. Les textes récents soulignent la beauté des plus anciens, et réciproquement.
En chantant aussi bien des titres célèbres de sa chanteuse de chevet, comme Les Gens qui doutent ou Maryvonne, que d’autres moins connus tels que celui qui donne son titre au spectacle, Marie Fortuit fait d’elle un portrait complexe. Elle donne à entendre qu’elle fut beaucoup plus qu’une « Brassens en jupons », surnom donné malgré elle à Anne Sylvestre : une artiste avec son esthétique et ses engagements personnels. Dans Douce Maison, par exemple, elle dénonce le viol. Et dans Une sorcière comme les autres, la misogynie. En disant sa difficulté à trouver sa place comme artiste femme, comme lesbienne ou encore comme personne qui doute, Marie Fortuit prend le relais d’une œuvre sans concessions. La belle et discrète sororité qui l’unit à Lucie Sansen rassure : sur son chemin, elle n’est pas seule. Nous ne sommes pas seul·es.