En comparution immédiate, des avocats face à l’afflux de prévenus
Depuis vendredi 30 juin, les comparutions immédiates s’enchaînent un peu partout en France pour juger les personnes arrêtées au cours des nuits de révolte. Certains avocats, souvent débordés, dénoncent une justice expéditive… et parfois de classe.
Une réponse judiciaire « rapide, ferme et systématique ». C’est par ces mots que le ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti, a demandé au Parquet, via une circulaire ministérielle, d’agir vite et fermement à l’égard des personnes interpellées au cours de la semaine de révoltes qui a secoué le pays à la suite de la mort de Nahel, abattu par la police. Et les premiers retours de terrain semblent clairs. Le ministre a été reçu cinq sur cinq. Partout, dans la presse, sur les réseaux sociaux, défilent les bilans des comparutions immédiates. Des peines souvent lourdes, prononcées rapidement. C’est le principe même des comparutions immédiates, des procédures accélérées, et des jugements rapides, presque à la chaîne. « On est dans une situation particulière, de très forte crise sociale. Le risque de ces comparutions immédiates c’est de juger à chaud, avec ce sentiment général que ce qu’on observe est dégueulasse et qu’il faut punir fort », explique Morad Falek, avocat au barreau de Paris.
On est clairement dans une justice de classe.
« Les magistrats et surtout les procureurs appliquent à la lettre la circulaire d’Éric Dupond-Moretti qui prévoit le déferrement en masse, peu importe ce qui est reproché », raconte Coline Bouillon, avocate au barreau du Val-de-Marne, qui sillonne l’Île-de-France pour défendre ces prévenus. À situation exceptionnelle, dispositif exceptionnel. « À Nanterre, par exemple, on a eu des audiences rajoutées samedi et dimanche, des jours où le tribunal est habituellement fermé. Donc ça demande beaucoup de travail pour tout le monde », glisse Morad Falek. Malgré tout, les avocats de la défense préfèrent ne pas refuser la comparution immédiate, de peur de voir leur client partir en détention provisoire avant la date de l’audience. Une pratique qui n’est pas forcément la norme. Coline Bouillon, qui défend aussi beaucoup de personnes interpellées en manifestation, explique : « On est clairement dans une justice de classe. Avec les mêmes infractions, des personnes blanches au même profil judiciaire, de milieu de la classe moyenne, qui refuseraient la comparution immédiate, seraient placées sous contrôle judiciaire. Là, les personnes racisées, si elles refusent la comparution immédiate, c’est directement la détention provisoire. Il y a clairement deux poids, deux mesures. »
« Justice au rabais »
Une analyse sur laquelle ne se retrouve pas forcément Morad Falek : « Les réquisitions du Parquet sont très importantes, c’est vrai. Ils ont eu des instructions de la part du ministère de la Justice, mais cela est normal. En revanche, on a des magistrats du siège qui ne suivent pas forcément ces réquisitions. Je le dis sincèrement : ils ne se laissent pas emporter par cette situation de crise ». Outre ces avis divergents, on peut facilement s’interroger sur la capacité des tribunaux à traiter autant de dossiers si rapidement. « À Créteil, il y a une quinzaine de personnes renvoyées aujourd’hui, une dizaine demain. Et c’est pareil partout. Clairement, ces personnes bénéficient d’une justice au rabais. On ne peut pas défendre correctement 8-9 personnes », souffle Coline Bouillon qui confie ne pouvoir lire qu’en diagonale les dossiers. « Quinze minutes à peine pour revenir sur des faits, un parcours de vie, le contexte général. C’est une justice expéditive », écrit Rafik Chekkat, diplômé en droit et en philosophie politique, sur Twitter, alors qu’il assiste aux audiences à Marseille.
Le contexte de crise sociale encore vif, la circulaire du ministre de la Justice, et des prévenus qui s’enchaînent. Autant de raisons expliquant les condamnations importantes qui se succèdent. « Samedi j’ai assisté à une vingtaine d’audiences de majeurs. Quatorze sont partis au trou avec mandat de dépôt. C’est énorme », s’insurge l’avocate du Val-de-Marne. « C’est vrai qu’on a eu des mandats de dépôt que l’on n’aurait pas forcément vu dans une situation normale », reconnaît Morad Falek. En creux, outre des procédures faites parfois à la va-vite et avec peu d’éléments matériels, c’est la question de la pertinence d’incarcérer certains types de profils qui se pose. Car beaucoup des personnes passant devant les tribunaux du pays ces derniers jours sont jeunes, insérés dans la société, avec un casier vierge. « Il y en a 60 %, sur ces 3 200 personnes arrêtées, qui n’ont aucun antécédent judiciaire, qui ne sont pas connus des services de police », a assuré le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, en marge d’un déplacement à Reims.
Le profil type du petit délinquant de cité multirécidiviste est totalement battu en brèche.
« Le profil type du petit délinquant de cité multirécidiviste est totalement battu en brèche par ce qu’on observe ! », assure aussi Morad Falek, « On a de tout : des gens issus de ces cités, des gens d’ailleurs, des gens qui n’ont jamais eu aucun problème avec la police. Cela démontre qu’on a une vraie colère sociale qui dépasse les problèmes des quartiers défavorisés. » Mettre tout le monde derrière les barreaux, au cours de procédures expéditives, est-ce vraiment la bonne solution ? Une nouvelle fois, le gouvernement, à travers sa communication et sa volonté de frapper fort, prend le risque de répondre à cette colère sociale par la seule répression. Coline Bouillon conclut : « On a des personnes jeunes, avec un logement, une formation, à qui on reproche des infractions qui ne sont vraiment pas très graves. Avec un peu d’intelligence, on trouverait d’autres solutions. Mais là, il y a juste une volonté d’appliquer les consignes. Ils s’en contrefichent des situations individuelles. Et envoient tout le monde en taule. »
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don