Le sens d’une révolte
À la rage d’une partie de cette jeunesse contre la violence policière, suite à l’exécution de Nahel, s’ajoute un ressentiment social. Un mouvement avec une forte signification politique, que le pouvoir ferait bien d’essayer de comprendre.
dans l’hebdo N° 1765 Acheter ce numéro
Dans l’Ancien Régime, on appelait ça une jacquerie. Les révoltes étaient paysannes. Elles sont aujourd’hui urbaines. Mais les mots, qui nient les causes sociales, déshumanisent les émeutiers et arment la répression, n’ont pas tellement changé. Froissart, le chroniqueur de la Grande Jacquerie de 1358, parlait de « chiens enragés ». Nos syndicats de police parlent de « hordes sauvages » et de « nuisibles ». Il y a sept siècles, l’acte déclencheur était une « échauffourée » avec des « gens d’armes ». Cette fois, la cause première est l’exécution par un policier d’un jeune homme de 17 ans. Mais, signe des temps, des images et du son contredisent aujourd’hui la parole assermentée. Un policier tue, et la police ment. Ce flagrant délit a non seulement anéanti la version qui invoquait la légitime défense, mais il a jeté le soupçon sur la parole policière dans tant d’affaires qui n’ont pas été filmées, ou dans lesquelles les images ont été jugées confuses. Elles sont nombreuses, comme en témoigne notre dossier. L’homicide n’est peut-être pas institutionnel, mais le mensonge l’est, renforcé par un corporatisme inexpugnable et une solidarité gouvernementale qui trahit bien plus qu’une osmose idéologique : une véritable dépendance politique. Ce gouvernement, fauteur de crises sociales, est captif de sa police.
Ce gouvernement, fauteur de crises sociales, est captif de sa police.
Mais à la rage d’une partie de cette jeunesse contre la violence policière s’ajoute un ressentiment social. Les émeutiers ont exprimé une sorte de revanche contre une société inégalitaire, pour les personnes comme pour les territoires. Leur mouvement a rapidement muté, débouchant sur des pillages et des attaques inadmissibles contre des élus ou leur famille, comme à L’Haÿ-les-Roses. Au passage, la gauche aurait eu intérêt à appeler sans barguigner à la fin des violences, quand les jeunes en viennent à détruire leur propre environnement ou à ruiner des petits commerçants qui n’en peuvent mais. Cela dit, le paradoxe de ces événements est que, même dans ses débordements, le mouvement a une forte signification politique. On ne transformera pas ici des jeunes pillards en révolutionnaires. Mais la portée politique des émeutes ne dépend pas de la conscience qu’en ont leurs acteurs. Ce dont ils sont conscients cependant, c’est le harcèlement dont ils sont victimes de la part des policiers.
Le tournant a été pris par Nicolas Sarkozy, en 2003, lorsque celui qui n’était encore que ministre de l’Intérieur a tancé les policiers qui pratiquaient une police de proximité. On se souvient de sa diatribe arrogante : « Vous n’êtes pas des travailleurs sociaux » et « la police n’est pas là pour organiser des matchs de rugby dans les quartiers ». Au cours du quinquennat Hollande, Bernard Cazeneuve a dangereusement élargi la définition de la légitime défense. Une loi qu’il faut de toute urgence abroger. Il fut un temps, pas si lointain, où le patron des syndicats de police, Bernard Deleplace, était classé à gauche. Hélas, après Sarkozy et Valls, le Rassemblement national puis Zemmour n’ont cessé de gagner en influence. Et ce n’est évidemment pas Gérald Darmanin, pur produit du sarkozysme, qui a renoncé à cette doctrine de l’affrontement. En vérité, la police est l’enjeu d’un conflit qui traverse toute la société. La politique actuelle a deux bouts : la répression et l’abandon social. On n’a pas oublié le mépris avec lequel Emmanuel Macron a balayé, en 2018, le rapport de Jean-Louis Borloo en faveur des quartiers.
Enfin, il ne fait aucun doute que la colère des jeunes, dans sa violence, résulte d’un contexte politique général. La France de Macron a été traversée par deux grandes crises sociales, les gilets jaunes et la réforme des retraites, marquées l’une et l’autre par des affrontements. On aurait tort de croire que les frustrations nées du conflit des retraites et de la surdité obstinée du gouvernement n’ont pas marqué les consciences, même parmi des populations restées généralement à l’écart des grèves et des manifestations. Nos jacqueries modernes, dans leur forme primaire, sont un mélange de ressentiment, de vengeance face à la violence policière, et de revanche sociale qui va jusqu’à contester aveuglément la propriété. Oublions la misérable formule de Manuel Valls – « expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser ». Sans toujours excuser, il est urgent de comprendre. Mais comprendre ne suffit pas quand on est en face d’une politique qui ne veut ni ne peut se remettre en cause.
Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don