Les Républicains mangés par leur aile extrême
La droite a choisi de durcir ses propositions sécuritaires et identitaires. En jouant le jeu de la surenchère avec l’extrême droite, LR construit des ponts avec le RN et Reconquête.
Quand la droite a-t-elle perdu sa boussole ? Le 29 juin, deux jours après le drame de Nahel. Le patron du parti Eric Ciotti donne le ton. Invité sur tous les plateaux, il plaide, de concert avec Eric Zemmour, pour un état d’urgence face à ces « guérillas urbaines », réclame des « réponses en cour d’assises » pour les « incendiaires », fait la pub de la loi qu’il avait lui-même portée en 2010, supprimant les allocations familiales aux parents des enfants délinquants. Les troupes suivront.
Le 5 juillet, le chef des sénateurs Bruno Retailleau embraye en accusant les « ensauvagés [qui] ont brûlé », sur le plateau de Franceinfo. Avant de faire le lien entre l’immigration et les émeutes : « Certes ce sont des Français par leur identité. Et malheureusement pour la deuxième et la troisième génération, il y a comme une sorte de régression vers les origines ethniques. » Quelques heures plus tard à la commission des lois du Sénat, Jacqueline Eustache-Brinio va plus loin dans la surenchère devant Gérald Darmanin, auditionné dans le cadre des émeutes du 27 juin. « Vous allez me dire que la plupart des gens qui ont été arrêtés sont Français, d’accord. Mais ça ne veut plus rien dire. Ils sont comment Français ? », s’interroge celle qui a été récemment promue au sein du « contre-gouvernement » de son parti, chargée des questions d’identité, de laïcité et des valeurs républicaines.
La même journée en fin d’après-midi, la droite décide de clore la séquence des réactions pour faire valoir ses idées. L’état-major du parti prévient les rédactions : les patrons tiendront une conférence de presse le lendemain au siège du parti, rue de Vaugirard dans le 15e arrondissement, avec la promesse de présenter des propositions « pour une justice plus ferme ». Pendant un peu plus d’une demi-heure, Eric Ciotti, accompagné de Bruno Retailleau et d’Olivier Marleix, le président des députés LR, annonce vouloir s’attaquer à « l’immigration de masse » et à « l’insuffisance » de la réponse pénale. Au menu ? Comparution immédiate pour « tout mineur qui attente à l’ordre de la République », retour des peines planchers, remise en cause du droit du sol pour les mineurs délinquants. Sur ce dernier point, Marine Le Pen et Eric Zemmour partageaient en 2022 une position similaire en proposant la suppression du droit du sol.
Rétrécissement idéologique
Dans ce plan, le Rassemblement national se retrouve avec Les Républicains sur au moins deux idées : la suppression de l’excuse de minorité et l’abaissement de la majorité pénale à 16 ans. Concernant la déchéance de la nationalité pour les binationaux condamnés pour crimes, défendue par Ciotti, Le Pen ne l’osait même pas dans son programme. LR tenterait-il de doubler le RN par sa droite ? « On ne court après personne, si ce n’est la restauration de l’autorité qui a été incarnée dans ce pays il y a une dizaine d’années », répond Marleix. « Je ne me situe pas par rapport au RN, je me situe par rapport à mes convictions », balaye Retailleau.
Je ne me situe pas par rapport au RN, je me situe par rapport à mes convictions.
Bruno Retailleau
Au sein du parti, ceux qui ne partagent pas cette ligne sont inaudibles, voire inexistants. Aurélien Pradié, qui tente d’incarner une ligne plus sociale, s’est contenté d’une réaction pour le moins mystérieuse. « Tous ceux qui ajoutent à l’effondrement de l’autorité de l’État, l’effondrement de la parole politique, participent au naufrage. Ils se disqualifient. D’un côté, comme de l’autre », écrit-il sur Twitter le 5 juillet. Bien timide contrepoint.
Pour un conseiller parlementaire, cette dérive serait le symptôme d’un « rétrécissement idéologique où la droite ne parle plus que de sécurité et d’immigration dans l’espace qui lui reste ». Comprendre : en refusant une coalition avec la Macronie, LR n’a plus d’autre choix que de se durcir. C’est donc en toute logique que Ciotti vole au secours de CNews quand Pap Ndiaye qualifie d’extrême droite la chaîne du groupe Vivendi (dont Vincent Bolloré est l’actionnaire principal). « Qu’a fait Pap Ndiaye dans sa vie et pour notre pays, à part essayer de déconstruire notre nation ? », lâche le député des Alpes-Maritimes en paraphrasant la Une de Valeurs actuelles du 27 avril, qualifiant l’historien des minorités de « ministre de la déconstruction nationale ». Il est tout aussi cohérent d’offrir une jolie promotion à Théo Michel. Inconnu du grand public, le numéro trois des Jeunes LR se retrouve propulsé à un poste de vice-président du parti le 10 juillet. C’est lui qui, lors de la rentrée des Jeunes républicains en septembre 2022, pointait ces « zones de non-droit » ou « même de non-France » et se demandait pourquoi « aucun enfant juif n’est scolarisé en Seine-Saint-Denis ».
Et Laurent Wauquiez semble avoir pris le même chemin de la radicalisation. Le champion désigné de la droite pour 2027 décide de sortir de son mutisme dans Le Figaro le 12 juillet. Dans cet entretien, il parle de « dissolution de l’État » face au « désordre, à la barbarie, la violence gratuite » tout en citant Platon. Selon lui, les « causes du mal » viendraient d’une « idéologie de la déconstruction » portée par Bourdieu ou Derrida et qui aurait « contaminé » les universités, les médias et la classe politique. Tout en affirmant vouloir se distinguer de « l’approche lepéniste », Wauquiez affirme quand même qu’arrêter « l’immigration est une condition nécessaire » et défend l’expulsion des étrangers responsables « d’actes de violence » et la « prison ferme systématique à la première atteinte à l’intégrité physique ».
Deux jours plus tard, autre signal. Valeurs actuelles publie une tribune dans l’indifférence générale. À l’initiative : la petite formation satellitaire Oser la France, créée par Julien Aubert, ancien député devenu l’un des vice-présidents du parti. Parmi les signataires se trouve Sébastien Meurant, le seul sénateur Reconquête du Parlement, exclu des Républicains en 2022 pour avoir soutenu Eric Zemmour. Dans ce long texte, les six auteurs s’offusquent que « le vieil épouvantail fasciste soit sorti du placard pour empêcher tout débat contre le mal qui ronge la France ».
En résumé, ils demandent d’arrêter de « faire rentrer des centaines de milliers d’immigrés africains et nord-africains, de vanter le modèle diversitaire, consistant à les autoriser à importer leurs cultures d’origine, ce qui revient à accepter une colonisation de peuplement ». Et proposent, entre autres, l’interdiction du Comité Adama ou la suppression de l’École nationale de la magistrature pour que « la justice de désidéologise ». Avant de parler à demi-mot de préférence nationale en soutenant la fin des droits accordés aux « extra-nationaux en liant citoyenneté et aides (réduction de l’AME, minimum vieillesse des étrangers non-cotisants…) ». En clair, le rapprochement des Républicains avec l’extrême droite devient un horizon de plus en plus envisageable.
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