Milan Kundera, mort d’un romancier très discret
L’écrivain franco-tchèque, auteur d’une œuvre romanesque majeure, s’est éteint mardi 11 juillet, à l’âge de 94 ans. Lui qui s’attachait à disparaître derrière ses écrits.
« Vous êtes communiste, monsieur Kundera ? — Non, je suis romancier. » « Vous êtes dissident ? — Non, je suis romancier. » « Vous êtes de gauche ou de droite ? — Ni l’un ni l’autre. Je suis romancier. »
Voilà les « dialogues étranges » que Milan Kundera avait avec lui-même dans Les Testaments trahis. Écrire des romans n’était pas une simple pratique d’un genre littéraire mais une attitude morale, une sagesse et un refus d’identification à une quelconque idéologie.
Né en 1929 en Tchécoslovaquie, fils d’un compositeur et professeur de musique, il gardera une passion pour cet art, s’en inspirant pour structurer la composition de ses romans. Son œuvre se caractérise par l’ironie, le refus du kitsch comme attitude existentielle, l’érotisme, la mémoire et l’oubli. Après des débuts littéraires placés sous le signe du lyrisme, Kundera opère une conversion qui sera le pilier de son œuvre. Il l’expliquera en 1979 dans un entretien à la revue québécoise Liberté : « Quitter la poésie pour la prose, ce n’était pas pour moi une simple transition d’un genre à l’autre, mais une vraie rupture. Pour moi la poésie lyrique, ce n’est pas seulement un genre littéraire mais avant tout une conception du monde, une attitude vis-à-vis du monde. J’ai quitté cette attitude. »
L’auteur de L’Insoutenable légèreté de l’être, dont l’existence fut prise dans les bouleversements de l’histoire, celle du communisme en Tchécoslovaquie, maintenait une distance envers l’art à but politique. Découvert par le public français en 1968 avec la publication de La Plaisanterie, son premier roman, préfacé par Louis Aragon, Kundera révèle sa méfiance envers tout œuvre de cet acabit. Si l’intrigue de ce roman – un étudiant praguois exclu du parti communiste et de l’université à la suite d’une blague -assume une fonction de témoignage historique, elle n’en demeure pas moins une réflexion métaphysique qui éclaire les problèmes existentiels humains.
Laconisme et effacement
Opposé à la « morale de l’archive » Kundera a tout fait pour effacer son existence au profit de son œuvre. Dans L’Art du roman, il écrit : « Le romancier démolit la maison de sa vie pour, avec les pierres, construire la maison de son roman ». Redoutant l’appétit de futurs biographes, il s’en est prémuni à sa façon en brûlant sa correspondance et ses manuscrits dans les dernières années de sa vie. Sa notice biographique insérée au début de ses livres témoigne de cette mise en retrait par son laconisme : « Milan Kundera est né en 1929 en Tchécoslovaquie. En 1975 il s’installe en France. » Elle donne cependant une information capitale. Proscrit par le régime tchécoslovaque à la suite du Printemps de Prague, en 1968, il se résout à l’exil. Cette émigration sera accompagnée quelques années plus tard par un changement majeur. Kundera change de langue d’écriture passant du tchèque au français dès 1986 avec la publication de L’Art du roman.
Sur le plateau d’Apostrophes, sa dernière apparition publique en 1984, il confiait son attachement à la discrétion. La vie de l’auteur ne doit pas selon lui servir d’éclairage, de clé d’analyse de l’œuvre. Cette dernière n’est pas constituée par l’ensemble des productions du romancier mais par ce que le romancier « considère comme valable au moment du bilan ». Ainsi l’édition des ouvrages de Kundera dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade ne s’intitule pas « Œuvres complètes » ou « Œuvres » mais bien « Œuvre » au singulier. L’écrivain a éliminé des recueils de poésie et des pièces de théâtres composés dans sa jeunesse.
Il avait une belle et simple définition de l’Europe : « Le maximum de diversité dans un minimum d’espace. »
En 1983, dans la revue Le Débat, Kundera publiait un long article « Un Occident kidnappé ou la tragédie de l’Europe centrale ». Il s’y penchait sur le sort des petites nations (polonaise, tchèque, hongroise) menacées d’engloutissement par l’URSS et rappelait leur immense contribution à la culture occidentale, avec Béla Bartók, Franz Kafka, Herman Broch, Robert Musil, les replaçant au cœur de l’histoire culturelle européenne. À l’heure ou la Russie menace l’indépendance d’un de ses voisins, ce petit essai, republié par Gallimard à l’occasion de l’invasion de l’Ukraine, résonne douloureusement dans nos consciences. Tout en nous rappelant ce qui unit l’Europe. Kundera avait trouvé une belle et simple définition du continent : « Europe, le maximum de diversité dans un minimum d’espace. »
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