Familles : un âpre combat pour la justice

En comités établis ou en groupes informels, les proches des personnes tuées par la police doivent affronter les mensonges des institutions et la curiosité malsaine des médias, tout en menant une lutte politique pour obtenir justice.

Hugo Boursier  • 5 juillet 2023 abonné·es
Familles : un âpre combat pour la justice
La mère de Nahel, lors de la marche blanche à Nanterre, le 29 juin 2023.
© Maxime Sirvins

« Combien d’enfants vont partir ? Combien de mères vont être comme moi ? », s’interroge Mounia, en larmes et la voix basse. La mère de Nahel pose ses premiers mots chargés d’émotion devant la caméra de « C à vous ». Le souffle coupé, elle raconte la manière dont elle a appris le décès de son fils de 17 ans, tué mardi 27 juin par un tir policier. « Je demande s’il est mort. Et une policière me dit… [elle acquiesce d’un signe de tête]. Je tombe. Je crie, et je tombe », murmure-t-elle avant d’ajouter : « Ils précisent pas que c’est eux qui ont tué mon fils. » La vérité, on ne la lui dit pas. Elle la découvrira par cette vidéo – deux policiers, un tir et le lent mouvement d’un véhicule au conducteur inanimé. Comme un premier mensonge de l’institution face à la famille en deuil. Face à Mounia, la mère de Nahel, Hatifa, sa tante, ou Nadia, sa grand-mère. Le début d’un combat pour réclamer « Justice pour Nahel ».

On apprend la mort. On n’y croit pas. Puis on nous salit, on nous attaque.

Assa Traoré

Ce combat est semé d’embûches. « Toutes les familles, c’est pareil. Il y a ce coup de fil qui arrive. On apprend la mort. On n’y croit pas. Puis on nous salit, on nous attaque », décrit Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré, mort le 19 juillet 2016 à la gendarmerie de Beaumont-sur-Oise. À la marche blanche organisée à l’appel de Mounia à Nanterre, jeudi 29 juin, si les milliers de personnes présentes ont admiré le courage de cette mère célibataire de la cité Pablo-Picasso, sur les réseaux sociaux, des internautes ont lancé une polémique crasse. Son attitude a été jugée trop joviale. Ses sourires, trop larges. Des médias s’en sont saisis à coups de décryptages, billets et chroniques. Le récit enfle et retombe quelques jours plus tard. Mais le mal est fait. « On est victimes, mais on ne nous reconnaît pas ce statut. Le système cherche à nous faire porter, toujours, une forme de culpabilité », analyse Assa Traoré, dont le parcours de la famille a été passé au crible. Jusqu’à Emmanuel Macron, qui cible les mères de famille en remettant en question leur autorité.

Sur le même sujet : À Nanterre, « ça fait des années qu’ils nous ont abandonnés »

Les projecteurs sont braqués sur les moindres faits et gestes. La famille devient l’emblème d’une lutte pour le souvenir d’un nom, d’un visage. Les vagues médiatiques percutent cette personnalisation. Souvent avec brutalité. Mais elle permet à d’autres de s’identifier. « Je pense qu’il y a des manifestations de masse parce qu’il y a beaucoup de mères qui, comme ma sœur, en ont assez d’avoir peur tout le temps », explique Hatifa. Dans un entretien accordé au média britannique The Independant, la mère de quatre enfants exige que « le racisme et les discriminations au sein de la police […] cessent ». « Ce serait un désastre si, après tout ce qu’il s’est passé, rien ne change et que le policier s’en sorte librement », poursuit-elle. Le policier en question a été depuis interpellé et placé en détention provisoire.

Face au système

Face aux familles, c’est tout un système qui s’organise pour limiter les condamnations des policiers, quand il y en a. « Il faut que la famille de Nahel soit préparée à cela. À ce poids des institutions, et notamment la justice, qui ne veut pas résoudre les crimes policiers et racistes », explique Amal Bentounsi, fondatrice du collectif Urgence notre police assassine. Qu’est-ce qu’il reste quand la justice, la police, les médias se retournent contre vous ? « L’espoir que la lutte paie, l’espoir que les victimes qui subissent ces violences n’abdiquent pas », explique-t-elle, en colère face à cette époque où les habitants des quartiers populaires sont qualifiés de « nuisibles » par Alliance, et où un policier tueur pourrait devenir millionnaire.

 Il faut que la famille de Nahel soit préparée à cela. À ce poids des institutions.

Amal Bentounsi

« Justice pour Nahel », « Justice pour Adama », « Justice pour Wissam », « Justice pour Gaye Camara ». Les prénoms s’additionnent dans la liste. Inexorablement. Derrière ces slogans, les familles se battent. Pour Assa Traoré, le choix de fonder un collectif, dont ses proches sont au centre, est apparu évident. « C’est plus sincère, plus fort. On voulait montrer que les familles ne se laissaient plus faire », explique-t-elle. Une forme de politisation d’un groupe dont les institutions espèrent le calme silence du deuil. « C’est une lutte contre la déshumanisation organisée par l’État. De la famille victime, mais de toutes les potentielles victimes de la police, à qui l’État donne un permis de tuer », ajoute-t-elle.

Dans l’excellent documentaire réalisé par Inès Belgacem, Violences policières, le combat des familles, Mahamadou Camara, le frère de Gaye, tué par la police d’Épinay-sur-Seine en 2018, évoque cette forme de combat de toute une lignée : « Nous, on s’est tous engagés. Ça nous est tombé dessus. » On les voit, lui et son frère, animer un atelier avec des jeunes autour du rapport entre police et citoyens. Mais une fois le drame arrivé, avec les dizaines de caméras qui scrutent leurs lendemains, au quotidien, les familles doivent composer. « Chez moi, j’explique à mes enfants que leur oncle a été tué par trois gendarmes. Je leur apprends aussi qu’il faut faire attention. Qu’il faut sortir avec ses papiers. De m’appeler s’ils ont un souci avec la police. C’est normal, ça ? », interroge Assa Traoré.

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