Jérôme Junqua, cow-boy des mers

Entre les vagues sur lesquelles il surfe s’ébrouent des dauphins. Ce jardinier basque de 42 ans a fait de leur protection son combat

Clémentine Mariuzzo  • 19 juillet 2023 abonné·es
Jérôme Junqua, cow-boy des mers
"Personne ne protège les dauphins. Les humains sont-ils horribles à ce point ? Au nom de notre confort, nous sommes capables de les mutiler. »
© Kévin Ellison

Jérôme Junqua évoque ce jour qu’il n’oubliera jamais où, agrippé à sa planche du surf et bercé par l’océan, il a nagé avec des dauphins au large, dans l’Atlantique. C’était la première fois qu’il les rencontrait vivants, après plus de six ans à recenser leurs cadavres échoués ou éventrés sur les plages. « Ils m’ont offert la gratitude dont j’avais besoin pour ne pas abandonner. J’ai compris pourquoi je faisais tout ça », glisse-t-il. Ce jardinier habitant une maison nichée dans les hauteurs près de Biarritz consacre sa vie à mère Nature et à ceux qu’il appelle, ému, « sa famille » : ces élégants cétacés victimes de l’activité humaine. C’est en s’entraînant à courir sur les plages de Gascogne que Jérôme a été confronté pour la première fois à cette réalité mortifère. Il se souvient d’avoir eu « le souffle coupé et les larmes aux yeux» à la vision « traumatisante » de cette première carcasse de dauphin qui le hante encore à ce jour.

Les cétacés sont de plus en plus nombreux à s’échouer sur les plages françaises. Durant la période hivernale de 2022-2023, environ 1 450 cadavres ont été retrouvés sur les côtes de la Manche et de l’Atlantique. Un record. Les blessures sont sans équivoque : les morts sont en grande majorité dues à l’ingestion de plastique et à des engins utilisés par la surpêche. Quand Jérôme Junqua l’a compris, il a ressenti de la culpabilité : « Personne ne les protège. Les humains sont-ils horribles à ce point ? Au nom de notre confort, nous sommes capables de les mutiler. » Alors, pour s’apaiser et aider les chercheurs à les protéger, il se met à les compter.

Les pêcheurs pensent qu’on s’en prend à eux, mais pas du tout. On va tous devoir changer.

En 2017, accompagné de l’ONG Sea Shepherd, il lève des fonds pour la recherche et se lance le défi de courir 100 kilomètres sur la côte atlantique pour recenser les carcasses de dauphins échoués. Il transmet ses données à l’Observatoire scientifique de La Rochelle, « auquel tout le monde peut signaler des cadavres d’animaux ». Remué à ce souvenir, il confie « en avoir vu parfois un tous les vingt mètres sur les plages». Face à cette « hécatombe », Jérôme a besoin « d’alerter et de se mettre en action ». Il se rapproche d’Itsas Arima, une association locale de recherche des populations de cétacés de la côte basque et, au fil des expéditions, découvre une communauté de passionnés bénévoles, des épaules sur lesquelles s’appuyer car ce n’est pas toujours « simple ». Les menaces font partie de leur quotidien, un prix à payer lorsqu’on dénonce la surpêche. « Les pêcheurs pensent qu’on s’en prend à eux, mais pas du tout. On va tous devoir changer et trouver des alternatives si l’on veut survivre. » Il n’en dira pas plus, pour ne rien attiser.

Pousser les gens à agir

« Changer » est un mot qui guide Jérôme. La nature «lui a tendu la main» dès l’enfance, l’aidant à surmonter des épreuves au sein du foyer. Son métier de jardinier était une évidence. Sa vocation consiste à aider les gens à comprendre les plantes et, surtout, « à devenir autonomes ». Le surfeur parcourt les vagues avec sa planche « pour être au plus près de l’eau et en connexion avec les éléments ». Au large, qu’il appelle le « Far West », ce natif des montagnes devenu cow-boy des mers trouve de la beauté dans chaque goutte, chaque paysage, chaque composante de la faune. C’est en partageant cette émotion de la contemplation qu’il essaie de pousser les gens à agir.

En collaboration avec la réalisatrice Lucie Francini, il tourne en 2022 le court-métrage Engagé, qui décrit son combat pour les cétacés et sa passion de l’eau. Diffusé dans les cinémas de sa région, ce film rencontre un franc succès : « Je montais sur scène. Moi, un petit jardinier. Imaginez !» D’abord motivé par la volonté d’« inspirer », Jérôme aimerait maintenant donner la parole aux scientifiques dans un deuxième documentaire. Une façon de « laisser une trace », de nourrir l’éventuel futur engagement de son fils de 6 ans et, surtout, de pouvoir lui répondre quand il lui demandera : « Et toi, papa, tu as fait quoi pour la planète ?» 

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