Une « économie bleue » de la coévolution
L’« économie bleue » promue aujourd’hui par de nombreuses organisations internationales vise à considérer la mer comme un espace multifonctionnel qui se doit d’être productif. À la puissance publique d’y apporter des garde-fous.
dans l’hebdo N° 1767-1771 Acheter ce numéro
La surface du globe est recouverte à 80 % d’océans, où domine une logique d’exploitation extensive qui peut être qualifiée d’économie de la prédation. L’« économie bleue » promue aujourd’hui par de nombreuses organisations internationales vise à considérer la mer non plus comme une simple réserve de poissons mais comme un espace multifonctionnel dont il faut envisager la productivité à l’aune des réserves minières, des énergies renouvelables, des puits de carbone, des activités de loisir ou de l’aquaculture.
En France, les activités liées au tourisme se réservent la part du lion de la richesse et des emplois créés dans l’économie bleue, avec respectivement 56 % et 64 %. À l’autre bout, la pêche et l’aquaculture ne cessent de perdre en influence (6 % de la valeur ajoutée produite et 7 % des emplois), avec un nombre de navires qui est passé de 8 771 en 1990 à 6 224 en 2020 en métropole. Autre activité de l’économie bleue, les énergies marines renouvelables. En 2020, le Royaume-Uni comptait 10 428 MW d’éoliennes en mer installées contre 0 MW pour la France, alors que cette dernière possède le deuxième plus gros potentiel de production européen. Une quinzaine de projets doivent permettre de rattraper ce retard.
Beaucoup perçoivent dans cette économie bleue de nouvelles sources de menaces pour les écosystèmes marins.
Mais tout cela ne se fait pas sans heurts. Beaucoup perçoivent dans cette économie bleue de nouvelles sources de menaces pour les écosystèmes marins. C’est pourquoi il est demandé à la puissance publique d’adopter des garde-fous, matérialisés en Europe par la directive-cadre stratégie pour le milieu marin, adoptée en 2008. Elle impose aux États membres de maintenir ou de restaurer le bon état écologique de ces écosystèmes, supports des activités marchandes et non marchandes, pour les générations présentes et futures. L’une des particularités de la mer est qu’elle est composée de ressources marines communes et qu’elle se situe sur le domaine public maritime, par conséquent les activités qui y sont menées doivent obtenir des licences (pêche), des concessions (parcs éoliens) ou des autorisations d’occupation temporaire (mouillages saisonniers), et accepter de cohabiter avec les autres usagers de ces espaces.
Au regard de ces quelques éléments, on comprend que la puissance publique va devoir organiser l’économie bleue autour de deux formes de coexistence : celle qui concerne les activités professionnelles et récréatives sur un même territoire et celle qui renvoie au respect des espèces et des habitats protégés. Il appartient à l’État, en tant qu’agenceur et propriétaire de ces espaces, d’orienter la transition de l’économie de la mer au XXIe siècle vers un nouveau modèle. On peut espérer que la puissance publique ne reproduira pas les erreurs qui l’avaient conduite à privilégier, dans les milieux terrestres, une économie de la production ignorant les coûts sociaux de l’hyperproductivisme, et promouvra l’émergence d’une économie de la coévolution, où la nature ne sera plus considérée comme une simple variable d’ajustement.
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