Naître à l’écriture

L’Écrivain, comme personne est l’ultime livre de Patrick Kéchichian, disparu en octobre 2022.

Christophe Kantcheff  • 5 juillet 2023 abonnés
Naître à l’écriture

L’écrivain, comme personne / Patrick Kéchichian / Préface de Didier Cahen / Éditions Claire Paulhan / 159 pages, 18 euros.

Outre son activité de critique littéraire, qu’il a déployée pendant des dizaines d’années au Monde, Patrick Kéchichian est l’auteur d’une œuvre singulière liant foi et littérature. D’où l’émotion que provoque cet ultime livre, publié à titre posthume. D’autant qu’il y est question d’une naissance à soi-même. L’écrivain, comme personne raconte l’histoire d’une émergence, d’une incarnation : comment prendre corps en tant qu’écrivain. « Désormais lesté, enrichi, mais aussi allégé, de mille précautions et prévenances, notre plumitif, notre écrivain peut faire acte de présence », écrit Kéchichian en usant de la troisième personne. D’autres ont présenté un tel processus comme une autorisation que l’on se donnerait à soi-même. Ici, il n’y a pas d’offrande, mais un combat, une conquête arrachée de haute lutte. La principale opposition étant constituée par Kéchichian lui-même !

« Une langue passablement démembrée »

Nulle anecdote dans L’écrivain, comme personne, pas plus de représentation sociale. « L’être de l’écrivain » pour Kéchichian n’a d’ailleurs rien à voir avec « une fonction, un métier, un statut ». On peut dire de ce livre qu’il est idéaliste, au sens philosophique. Quoi qu’il en soit, nous sommes au plus près d’un monde intérieur, celui de l’auteur, qui, au départ, est une « tempête » le poussant à remplir des pages « dans une langue passablement démembrée ». Il n’a jamais cédé au nihilisme, mais tout est embûche : le sentiment d’imposture omniprésent, ou le journal intime, moloch dévorant, qui n’aide pas. Le salut, si l’on ose dire, viendra d’un équilibre, d’un « ordre » inespéré même s’il est « circonscrit et provisoire », dont la clé est la conversion que l’auteur connaîtra.

L'écrivain comme personne

Monstre de scrupules, enclin à l’absence d’espoir, Patrick Kéchichian ne cache aucun des obstacles qui s’accumulent sur ce difficile parcours. L’écrivain, comme personne (la virgule, on l’aura compris, est essentielle) est pourtant dénué de complaisance. « Croyez-moi, écrit-il, je n’ai aucun goût pour les coquets ou coquins mystères que les explorateurs de l’intime, les thuriféraires d’eux-mêmes en toutes hypothèses et positions, chérissent et dont ils aiment se torturer, puis aussitôt se draper, puis se torturer à nouveau de plus belle. » La recherche d’une vérité, de sa vérité, est sa seule voie. L’intransigeante précision de sa langue en témoigne. Patrick Kéchichian n’est plus mais heureusement ses livres restent.

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Littérature
Temps de lecture : 2 minutes