Abandonner les notes pour mieux apprendre
En finir avec le classement et la concurrence permet de redonner du sens aux évaluations. Deux enseignants et militants de la pédagogie Freinet témoignent de leur expérience.
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Cet article est issu de notre nouveau hors-série : « Dessine-moi l’école publique ». Un numéro exceptionnel de 52 pages, à découvrir en kiosque et sur notre boutique en ligne !
Valoriser les réussites
par Matthieu Brabant, professeur de mathématiques et de sciences physiques et chimiques en lycée professionnel à Montpellier.
Constatant que la question de la note était centrale, voire obsessionnelle, dans un certain nombre de problèmes de nos élèves (échec scolaire, mal-être, absentéisme, décrochage d’une filière choisie par défaut en raison de « mauvaises notes »…), l’équipe pédagogique d’une classe de baccalauréat professionnel métiers des transitions numérique et énergétique (MTNE) s’est lancée en septembre 2021 dans l’expérience d’une classe « sans notes ». Le baccalauréat professionnel se trouve, concernant l’évaluation, au carrefour de plusieurs difficultés : nous devons valider un diplôme, des qualifications et des compétences, alors que nous avons des élèves se retrouvant brutalement confrontés au monde du travail tout en connaissant de très grandes difficultés scolaires. Nous avons donc choisi de valoriser toutes les réussites et de dédramatiser la notion d’« échec » souvent induite par l’évaluation uniquement chiffrée. Il a été décidé de définir, à l’aide des référentiels des programmes, les « compétences » qui nous semblaient les plus pertinentes à évaluer. Les parents étant par ailleurs très attachés aux « résultats », donc aux notes de leurs enfants, nous avons décidé de les impliquer. Ces derniers sont peu présents en lycée professionnel. L’une des raisons étant justement ces notes systématiquement « mauvaises » et cette impression d’être du coup de « mauvais » parents. Nous avons donc décidé de réfléchir à la notion d’évaluation autrement, en la considérant comme un outil de communication pour les élèves (où en suis-je dans mes apprentissages ?) et pour les parents (où en est mon enfant ?), en partant du postulat que les élèves et les parents n’ont pas « besoin » des mêmes informations.
Les élèves ont à la fois progressé et exprimé un ressenti positif.
Afin d’affiner cela, nous avons beaucoup échangé avec les parents sur leurs besoins et avec les élèves pour faire des points d’étape individuels. Le résultat a dépassé nos espérances : les parents ont été très présents pendant l’année de seconde et les élèves ont à la fois progressé (les évaluations servant aussi aux professeurs pour suivre cela) et exprimé un ressenti positif. Mais la classe de première est arrivée avec de nouvelles interrogations : Parcoursup et le diplôme. Bref, l’institution qui exige des notes dès la première pour l’orientation post-bac et la validation du diplôme. Concernant Parcoursup, logiciel fonctionnant par nature comme un outil de tri, notre logique ne pouvait pas coller. Nous avons utilisé une astuce du logiciel Pronote qui transforme la compétence en note. Nous avons simplement modulé cette note « à la main » à partir d’une « compétence » prenant en compte la participation au travail collectif. Plus facile à gérer est la question du diplôme : le baccalauréat professionnel se passe quasiment en contrôle en cours de formation (CCF) depuis maintenant vingt ans (sauf pour quelques disciplines comme les lettres, l’histoire et la géographie) : les professeurs ont donc la main totale sur les sujets, l’organisation des épreuves et l’évaluation. Nous avons alors évalué « par compétences » puis « proposé » une note. Reste la question des « compétences ». Qu’est-ce qu’une compétence ? Nous en cherchons encore une définition. Nous nous sommes fondé·es sur celle donnée par les organisations syndicales et patronales lors des discussions aboutissant à la loi sur la formation professionnelle (initiale et continue) de 2018 : « Une compétence est une combinatoire de ressources (connaissances, savoir-faire techniques et relationnels) finalisées (visant l’action), construites (acquises ou apprises) et reconnues. » Mais est-ce la définition qu’en donne l’Éducation nationale, alors que le terme de « compétence » est utilisé dès l’école primaire et qu’au niveau du baccalauréat professionnel des « blocs de compétences » existent comme parties constitutives du diplôme pouvant être acquises indépendamment du diplôme complet ? Et comme le lycée professionnel est à un carrefour : quelle est la place des qualifications dans tout cela ? Des questions encore non résolues, malheureusement.
Des élèves maîtres de leur projet
par Clothilde Jouzeau, professeure des écoles dans différents niveaux de maternelle et d’élémentaire, membre de l’Icem-Freinet.
Il me semble important de permettre aux élèves de donner du sens aux apprentissages scolaires dès leur entrée à l’école, qu’ils soient en petite section ou au CM2, en REP+ ou en zone rurale. La dernière semaine de chaque période, les enfants listent collectivement les activités menées et, dès la moyenne section de maternelle, ils précisent ce qu’ils en ont appris. Ils choisissent des photos ou des dessins pour illustrer ces nouveaux savoirs et savoir-faire. Les vignettes -ainsi réalisées sont à leur disposition afin qu’ils puissent les coller dans leur carnet de réussites et de fierté. À partir du CE1, les élèves s’inscrivent et se répartissent par groupes de deux ou trois et s’emparent des implicites liés aux activités qu’ils ont achevées : qu’est-ce que j’ai fait ? Comment ? De quoi avais-je besoin ? Qu’est-ce j’ai appris ? Un véritable travail de réflexion s’engage alors : l’occasion pour chacun d’argumenter, de justifier. Les élèves énoncent les difficultés rencontrées, les découvertes, les notions apprises. Cette énumération constitue la liste des items du livret d’autoévaluation et le support du journal de classe, qui permet aux parents de se glisser dans le quotidien du fonctionnement de la classe.
L’autoévaluation qualitative a du sens parce qu’elle a été pensée par les élèves.
Par exemple, dans la rubrique « mathématiques » du journal, des élèves de cours moyen racontent comment le financement de la classe de mer leur a permis de découvrir la multiplication. « Quand on a compté la caisse, on avait plein de pièces de 2 euros. On a fait des paquets de 10, ça faisait 20 euros par pile. Après, on a compté les piles. Il y en avait 7. On a fait 20 + 20 + 20 + 20 + 20 = 100. Il restait deux piles de pièces : 20+ 20 = 40 ; 100 + 40 = 140 euros. A. a proposé de faire 20 + 20, etc. = 140, et J. 7 x 20 = 140. Son grand frère lui avait appris les “fois”. La maîtresse nous a proposé d’écrire les résultats trouvés dans un tableau, pour ne pas les oublier. Plus tard, on a fabriqué le tableau des tables de multiplication pendant les ateliers mathématiques ! La prochaine fois, on ira plus vite pour compter l’argent. » Ainsi, dans le livret, se trouvaient les items : « Je sais faire des additions sans retenue / avec retenue, je sais transformer une addition itérative en multiplication, je connais la table de 2 / de 10. » Les critères d’évaluation et les items du livret sont rédigés par les groupes de travail, qui les présentent à la classe. Les propositions sont votées et adoptées à la majorité relative. Ce dispositif démocratique a du sens, parce que je m’efface : je deviens une observatrice du développement de l’esprit critique des enfants. Une année, les élèves de cycle 3 (CM1-CM2) avaient opté pour la rapidité comme critère d’évaluation. À la période suivante, cela a été mis en débat :
« Aller vite, c’est pas bien, des fois on va vite et c’est tout faux.
– Mais quand tu sais, tu vas vite.
– Moi je vais pas vite, mais j’ai pas tout faux.
– En plus on s’en moque d’aller vite, parce que la maîtresse elle nous laisse tout le temps qu’on veut.
– Chacun fait comme il veut. Le plus important, c’est d’avoir juste. »
Le groupe s’est mis d’accord pour supprimer ce critère, et la classe a validé. Le livret, conçu collectivement, est complété individuellement par chaque élève. Nous en faisons ensuite une lecture à deux. J’apporte des précisions, que je justifie, sur ma perception de l’autoévaluation de l’élève. Après avoir établi le bilan du projet de travail personnel qu’il s’était fixé, l’élève me fait part de son nouvel objectif de progression. Je l’écris sous sa dictée et, parfois, je complète mon évaluation de sa capacité à s’autoévaluer. Le livret d’autoévaluation ainsi conçu favorise la compréhension des attendus scolaires par tous, enfants et familles. Il est, avec le journal de la classe, un support de référence. Le projet individuel porté par chaque élève est déculpabilisant. L’autoévaluation qualitative a du sens parce qu’elle a été pensée par les élèves. Lorsqu’une compétence est non acquise, ce n’est pas grave, puisqu’elle peut devenir un projet de progression à part entière.
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