Pour la gauche, le défi de « sortir par le haut »
En assumant d’expliquer la légitimité de la colère tout en appelant à l’apaisement, les élus de la Nupes tentent de promouvoir des mesures politiques face à la crise.
dans l’hebdo N° 1765 Acheter ce numéro
« On n’en sortira ni par le déni ni par la violence aveugle. On s’en sortira par le haut : par la vérité, par la justice, par l’égalité. » À gauche, face au tunnel des violences urbaines qui ont éclaté depuis la mort de Nahel, mardi 27 juin, on cherche les issues de secours. À l’image de François Ruffin qui, dans sa note de blog publiée jeudi 30 juin, invite Emmanuel Macron à s’engager sur « des solutions qui réparent les maux ». Une manière d’éteindre les critiques qui le visaient à la suite d’un tweet qu’il concluait, le jour du décès de l’adolescent, par un énigmatique : « Porter l’uniforme de la République implique des devoirs. Pour les policiers, comme pour les citoyens : enquête et justice. » Depuis, l’élu de la Somme tente péniblement de renverser la vapeur pour montrer qu’il a un message clair en direction des quartiers populaires urbains. Et énumère les problèmes à régler : « La ségrégation urbaine, les discriminations à l’embauche, le trafic de drogue et les réseaux mafieux, les moyens pour les élus locaux, les associations, la revalorisation des métiers des premiers et premières de corvée, le soutien aux mères célibataires qui tiennent tout le foyer sur leur dos. »
« L’offensive d’extrême droite envenime tout »
Elsa Faucillon
Vaste chantier. Nécessaire, assurément, tant l’absence de réponses politiques du président de la République a laissé le champ libre à la Nupes. La France insoumise propose un plan d’urgence intitulé « Justice partout ». Les mesures vont de l’abrogation « immédiate » des dispositions de la loi Cazeneuve de 2017 à la création d’une commission « Vérité et Justice » ou une réforme de l’IGPN et de la police nationale. Mais aussi un « programme d’action global contre les discriminations » et un « plan d’investissement public dans les quartiers populaires ». Des propositions qui ont peiné à se faire entendre à cause du bruyant piège tendu par le gouvernement. « Une grosse ficelle », pointe Éric Coquerel.
Mais une ficelle efficace : ne pas appeler au calme, pour éviter d’apparaître sur la même ligne qu’Élisabeth Borne, reviendrait à soutenir, voire encourager les violences. Et la Première ministre, accompagnée de sa clique de soutiens médiatiques, à deux doigts de dépeindre des députés Nupes sur les barricades, prêts à dégainer les mortiers. « C’est une manière de refiler la responsabilité à ceux qui ne gouvernent pas depuis des années. Pourtant, on prévenait depuis longtemps que la cocotte-minute allait exploser », pointe le député insoumis de Seine-Saint-Denis, présent à la marche blanche – sans écharpe tricolore, à la demande des organisateurs. Il annonce la reprise des rencontres nationales des quartiers populaires, lancées en 2018.
Le refus d’appeler au calme, « un virage fort »
On doit évidemment appeler à retrouver le calme, sans abandonner les revendications.
Olivier Faure
Pour Julien Talpin, politologue à l’université de Lille, spécialiste des quartiers populaires, « ce refus d’appeler au calme et d’accorder une primauté au front de la justice et de la légitimité de l’expression de la colère est un virage fort ». Surtout si on regarde dans le rétroviseur. « En 2005, les réactions de la gauche ont été immédiatement critiques. Il y avait très peu de solidarité. » C’est ce que rappelle Clémentine Autain, dans Libération : « À l’époque, les partis de gauche étaient extrêmement frileux à dire qu’il fallait comprendre ce qu’il se passait pour prendre le mal à la racine », explique-t-elle avant d’ajouter : « Le moment est venu d’initier une grande marche pour la justice », prenant en exemple la marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983. Le chercheur associe ce changement de cap à la stratégie entreprise dès 2018, avec une France insoumise plus encline à embrasser les revendications des quartiers populaires.
Ulysse Rabaté, enseignant à Paris-8, y voit l’empreinte des collectifs qui militent contre les violences policières, « un travail de conscientisation et de politisation sur ces questions ». La présence de la vidéo oblige aussi des élus socialistes ou écologistes à se positionner, pondère Julien Talpin. « Ça ne veut pas dire qu’on va appeler nous-mêmes à brûler les écoles ou les mairies. C’est une folie. On doit évidemment appeler à retrouver le calme, sans abandonner les revendications et le traitement de ce malaise profond », nous confie le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure. Comme pour répondre au commentaire de Jean-Luc Mélenchon, préférant lancer, mardi 28 juin, un « appel à la justice » plutôt qu’un « appel au calme ». Mais, ensuite, les violences montèrent d’un cran.
« Je suis très inquiète », concède Elsa Faucillon. La députée communiste des Hauts-de-Seine enchaîne les nuits blanches sur le terrain. « Comment l’expression de cette colère, et surtout celle des plus jeunes, peut se traduire politiquement ? », interroge-t-elle. La députée – dissidente de la ligne droitière de Fabien Roussel – aimerait agir là-dessus. Pour « renouer le dialogue » et faire face à « l’offensive d’extrême droite qui envenime tout ». « C’est éminemment complexe, avoue-t-elle. Surtout quand on sort d’un mouvement pacifiste contre la réforme des retraites qui n’a rien obtenu, et qu’on voit que les gilets jaunes ont pu gagner sur certains aspects par la violence. » Une complexité que « la gauche doit prendre à bras-le-corps ». Surtout quand Emmanuel Macron s’y refuse, préférant la répression.