Pour l’État, c’est toujours la faute des mères

Après le meurtre de Nahel par la police, suite aux révoltes urbaines, le garde des Sceaux s’est empressé de pointer du doigt les parents. Une obsession à mettre en parallèle avec les politiques publiques d’intrusion dans la vie privée des familles des classes populaires.

Fania Noël  • 5 juillet 2023
Partager :
Pour l’État, c’est toujours la faute des mères
Marche blanche le 29 juin 2023 à Nanterre pour Nahel, tué par un policier.
© Maxime Sirvins.

Parce que tout change, rien ne change. Presque vingt ans après Zyed et Bouna, les séquences se suivent et se ressemblent. Une semaine après le meurtre de Nahel par la police, le garde des Sceaux s’est empressé de pointer du doigt les familles. Cette obsession autour de la prétendue irresponsabilité parentale doit être mise en parallèle avec les politiques publiques d’intrusion dans la vie privée des familles des classes populaires et le paternalisme de l’État. Dernière proposition – discriminatoire : instaurer des horaires scolaires spéciaux dans les quartiers dits sensibles.

Sur le même sujet : Révoltes dans les quartiers : l’histoire d’un abandon par un État raciste

Pour comprendre pourquoi, contrairement aux États-Unis, le racisme en France ne passe pas par la volonté de séparer mais par la volonté d’assimilation par dissolution du soi, il me semble que rappeler l’histoire de la colonie esclavagiste dans la Caraïbe est indispensable. Axe théorique que je développe dans mes recherches pour appréhender l’idéologie universaliste, la République n’est pas seulement au-dessus des lois de Dieu, elle est aussi la fabrique d’un homo res publica postcolonial : capable d’adhérer à l’idéologie républicaine tout en acceptant la permanence de la stratification sociale. Comme l’indique Silyane Larcher, la nouvelle République qui suit la fin de l’Empire en 1870 repose sur l’idée que, « libérés d’un maître, les anciens esclaves, plus que d’autres, ont néanmoins besoin de l’autorité d’un maître ».

Le triptyque paternalisme-racisme-citoyenneté est au centre des débats politiques et médiatiques.

On retrouve dans l’idéologie universaliste et républicaine un mythe anti-aristocratique fondé sur une forte croyance dans le pouvoir et le devoir de l’État, père de la nation, d’accoucher d’un citoyen républicain, pour une nation composée de citoyens ayant pleinement intériorisé l’esprit républicain. Le triptyque paternalisme-racisme-citoyenneté est au centre des débats politiques et médiatiques nationaux récurrents autour de l’intégration-assimilation. Et parce que c’est toujours la faute des mères, dans ce contexte, les familles non blanches sont piégées dans la fonction de captive maternal, définie par la théoricienne et universitaire américaine Joy James.

Sur le même sujet : À Nanterre, « ça fait des années qu’ils nous ont abandonnés »

Les familles non blanches des classes populaires sont matériellement exploitées par l’État (main-d’œuvre sous-payée, maintien des stratifications sociales et raciales). Une exploitation qui permet à l’État d’assurer sa propre reproduction. Sans surprise, ces familles sont associées à un problème politique et social. Dans le même temps, l’État se présente comme figure d’autorité et, à ce titre, lorsque l’enfant « issu de l’immigration » réussit selon les critères bourgeois, il devient un étendard de la supériorité, de la légitimité et de l’efficacité de la méthode républicaine. Être Alexandre Dumas fils ou périr. 

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Idées Intersections
Temps de lecture : 2 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Julie Couturier : « Attaquer l’État de droit, c’est attaquer la démocratie »
Justice 9 avril 2025 abonné·es

Julie Couturier : « Attaquer l’État de droit, c’est attaquer la démocratie »

Depuis la condamnation de Marine Le Pen, le Rassemblement national et sa cheffe de file crient à une décision « politique », opposant l’institution judiciaire à une supposée « souveraineté populaire ». Repris jusqu’au sein du gouvernement, ces discours inquiètent la présidente du Conseil national des barreaux.
Par Pierre Jequier-Zalc
Contre le fascisme, un printemps des peuples ?
Manifeste 9 avril 2025 abonné·es

Contre le fascisme, un printemps des peuples ?

Loin de marquer la fin de l’histoire, notre millénaire tremble des révoltes qui éclatent partout dans le monde. Un manifeste collectif, fruit de discussions transcontinentales, tente d’en tirer des leçons pour un avenir révolutionnaire.
Par François Rulier
Soutenir les victimes de l’extrême droite
Intersections 9 avril 2025

Soutenir les victimes de l’extrême droite

Marie Coquille-Chambel revient sur l’inaction des professionnels du secteur culturel et le manque de soutien des personnes directement concernées par les attaques perpétrées par l’extrême droite.
Par Marie Coquille-Chambel
« La science est la meilleure alliée des luttes pour la santé environnementale »
Entretien 2 avril 2025 abonné·es

« La science est la meilleure alliée des luttes pour la santé environnementale »

Nadine Lauverjat et François Veillerette, la déléguée générale et le porte-parole de l’association Générations futures, se battent pour articuler santé, écologie, alimentation et agriculture saine. Au fil des années, ils ont œuvré à rendre visibles les victimes de pesticides et à contrer la désinformation.
Par Vanina Delmas