Tout au bout de l’océan
Tout au bout de l’océan (côté atlantique), il y a New York. Cette ville est le principal personnage d’un livre prodigieux, Némésis dans la cité, de N.K. Jemisin. Qui nous parle aussi bien de la ville-monde que de notre planète.
dans l’hebdo N° 1767-1771 Acheter ce numéro
Le camarade Jacquemain, also known as le rédac-chef, nous adresse, au camarade Aurel, au camarade Sieffert et à moi-même, ce mail, où je crois deviner qu’il ne messiérait point que nous nous montrassions un peu marins dans nos contributions de la semaine – les dernières avant la longue traversée du mois d’août : « Chers tous trois, [le] numéro spécial d’été […] sera exclusivement consacré aux enjeux maritimes. »
Et ça tombe bien, parce que justement, tout au bout de l’océan (pour qui prend du moins la peine de le choisir atlantique et de regarder dans la bonne direction) : il y a New York City, also known as NYC. Et justement : cette ville est le principal personnage d’un livre dont je voulais absolument te parler dans le moment où tu te cherches possiblement quelques lectures pour l’été. Némésis de la cité (1) – c’est son titre – est le second (et dernier, donc) volume d’un diptyque, Mégapoles, dont j’avais, il y a deux ans, déjà dit, dans cette chronique, après lecture du premier tome, le plus grand bien (2). Et je voudrais aujourd’hui amender ce jugement – pour poser calmement qu’il s’agit d’un livre absolument prodigieux.
Son autrice, Nora K. Jemisin, romancière états-unienne de génie dont l’extraordinaire triptyque des Livres de la Terre fracturée (3) avait déjà profondément remué la science-fiction contemporaine, imagine ici que toutes les grandes métropoles mondiales sont des entités dotées d’une âme propre, incarnées, au sens premier du mot, par des avatars humains – personnages des plus ordinaires (et confrontés, par conséquent, à toutes les banalités de l’existence) que cette charge transmute, de fait, en superhéros.
New York est ainsi représentée par Niik, ex-SDF, « humain en toutes choses importantes » (et qui, donc, « saigne […], éternue », et se « gratte le cul quand un moustique [l’]a piqué ») – secondé par les avatars, hommes et femmes, de chacun des cinq boroughs (arrondissements) de « Big Apple ». Menacés par une monstrueuse entité (la Dame Blanche, tout droit venue de chez Lovecraft) stationnée au-dessus de Staten Island, ces personnages doivent également affronter un nouveau péril : un démagogue infâme, dont les supporteurs racistes et violents vomissent les « terroristes antifas » et les « gauchochottes », se porte candidat à la mairie de New York pour « rendre sa grandeur » à la ville.
On l’aura compris, Nora K. Jemisin, dans cette formidable fiction en forme, aussi, de manifeste pour l’intersectionnalité de toutes les luttes émancipatrices, ne nous parle pas seulement de sa bouleversante passion pour sa ville-monde, mais bien de notre planète, telle qu’elle va – ravagée par le trumpisme et ses affreux succédanés, parmi lesquels on serait presque tenté d’inclure le macronisme.
(1) Némésis de la cité, de N. K. Jemisin (remarquablement bien) traduit de l’américain par Michelle Charrier, J’ai lu, 411 pages, 23 euros. Il est, bien sûr, (vivement) recommandé de lire d’abord Genèse de la cité, disponible au format de poche (et pour la somme de 8,90 euros) chez le même éditeur.
(2) Voir : « Sœurs d’un même temps », Politis n° 1673, 29 septembre 2021.
(3) Également disponible chez J’ai lu.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.
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