WaffenKraft : les leçons de la première affaire de terrorisme d’extrême droite jugée aux assises

Vendredi 30 juin, l’ancien gendarme adjoint, Alexandre G. a été condamné à 18 ans de prison avec une période de sûreté des deux tiers. La plus grosse peine prononcée pour une association de malfaiteurs terroriste en lien avec l’extrême droite. Son idéologie et sa haine, comme chez ses coaccusés, se nourrissent du pourrissement du débat actuel et l’éclairent d’une lumière crue.

Nadia Sweeny  • 7 juillet 2023
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WaffenKraft : les leçons de la première affaire de terrorisme d’extrême droite jugée aux assises
© Foad Rochan / Unsplash.

« Vous êtes face à une sorte de jihad. Un jihad nouveau. Un white jihad » – jihad blanc, a clamé l’avocat général du parquet national antiterroriste lors de son réquisitoire jeudi 29 juin, après dix jours de débats devant la cour d’assises de Paris, lors du procès de l’affaire dite « WaffenKraft ». Une première pour une association de malfaiteurs terroriste en lien avec l’extrême droite. Quatre jeunes néonazis étaient ainsi jugés du 19 au 30 juin accusés d’avoir voulu commettre des attentats. Le principal accusé, Alexandre G. ancien gendarme adjoint a écopé de 18 ans de prison assortis d’une période de sûreté des deux tiers. Il a dix jours pour faire appel. La cour d’assises de Paris a cependant été plus clémente avec les coaccusés dont les peines les exemptent d’une incarcération. Mais au cours de ces dix jours de débats, a émergé la réalité d’une violence terroriste largement alimentée par le débat public et la banalisation des rhétoriques d’extrême droite.

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À 22 ans au moment des faits (2017-2018), Alexandre G. dit s’être radicalisé sur internet après les attentats jihadistes de 2015 sur les forums « d’ultra-droite » où s’échangent sans modération propos racistes, haine anti-immigrés, antisémitisme décomplexé. À grands coups d’humour potache, de récupération de faits divers choisis – devenue la spécialité de l’extrême droite – et de culte viriliste, la haine se nourrie. « Je me suis enfermé dans ma bulle. J’ai fait un amalgame entre musulmans et terroristes. C’est la haine le moteur de tout ça. J’en voulais à l’État que je trouvais trop laxiste. Quand on est radicalisé c’est difficile d’en sortir », reconnaît-il aujourd’hui. Devant le magistrat instructeur, le gendarme admet qu’ainsi, les musulmans et les manifestants de gauche sont devenus ses « ennemis ». C’est notamment ceux-là, qu’il cible dans ses deux manifestes terroristes que Politis a pu consulter.

Dans ces documents retrouvés sur son ordinateur lors de la perquisition, il détaille les méthodes pour faire un « maximum de morts » et annonce les raisons de son passage à l’acte. Dans « tactiques et opérations de guérilla », Alexandre G. reconnaît avoir copié-collé les techniques d’attaques diffusées par la propagande jihadiste dont il est fasciné. Il y dévoile trois cibles : la gare de Sevran-Beaudottes (93) – quartier populaire de banlieue parisienne – qu’il imagine attaquer par « explosion », la mosquée Omar et le PCF par « fusillade ». Il évoque aussi une attaque « dans une cité sensible réputée pour faire régner la terreur et où la police s’y aventure que très rarement, de ce fait vous avez 90 % de chance de ne pas croiser la police ce qui en fera un avantage énorme. Allez de rue en rue et fusillez les cafards là où vous les trouverez. » Peut-on lire. La mention étant accompagnée d’une photo devant illustrer lesdits « cafards ».

WaffenKraft manifeste
Extrait du manifeste d’Alexandre G. Les visages ont été anonymisés par nos soins.

Une rhétorique visant les habitants des quartiers populaires, qui n’est pas sans éclairer d’une lumière crue un communiqué officiel de deux syndicats de policiers majoritaires diffusé le 30 juin à l’occasion des violences urbaines déclenchées par la mort du jeune Nahel sous les balles d’un policier. Dans ce communiqué, les syndicats de police annoncent être « en guerre » et que l’heure est « au combat contre ces « nuisibles » », définis comme « des hordes sauvages ». En parallèle, des politiques définissent, sans ambages, un lien de cause à effet direct entre origines immigrées et violences urbaines. Le discours de l’« ultra-droite » se trouve ainsi largement validé par des organisations ou personnalités pourtant considérées comme « républicaines ». Si dans son réquisitoire définitif le parquet national antiterroriste s’alarme d’une « surreprésentation des membres ou anciens membres des forces armées et de sécurité intérieure au sein de l’ultra-droite », il note aussi que « la centralité des thèses soutenues par l’extrême droite au sein du débat public tend à légitimer celles promues par l’ultra-droite. » La mécanique qui aboutit à l’engagement de ces jeunes dans une spirale terroriste est ainsi indissociable de l’état du débat public en France.

Les fruits de haine

Ainsi la généralisation des discours contre les immigrés et la préservation d’une identité française fantasmée comme chrétienne, blanche et épurée d’éléments allogènes portent ses fruits de haine au cœur des groupuscules violents. « Je n’aime pas le concept de multiculturalisme. Comme beaucoup de gens j’estimais qu’il ne fallait pas se laisser submerger par des immigrations non européennes », explique Alexandre G. à la barre, abreuvé de la théorie dangereuse du grand remplacement reprise par des personnalités politiques comme Valérie Pécresse ou Eric Ciotti et qui sert de ferment aux discours néonazis. Pour Evandre A. l’intellectuel du groupe, « c’est Alain Soral qui a banalisé ces idées. Puis, l’alt-right américaine a présenté ça comme quelque chose de scientifique et plus seulement idéologique et c’est plus dur à remettre en question. Du coup, je me suis mis à lire de la littérature néonazie. J’étais favorable aux thèses eugénistes, opposé aux mariages mixtes pour la stérilisation des personnes handicapées et l’évaluation de ceux qui avaient le droit de se reproduire, liste-t-il. Cela dit, mes idées n’étaient pas si incompatibles avec la société française : en 2017, M. Fillon avait suggéré des quotas d’immigration en fonction de la nationalité d’origine et de mon point de vue, c’est satisfaisant »

Pour moi, il fallait séparer les races sinon, il y aurait des conflits. 

Condamné à cinq ans de prison dont trois avec sursis, il réfléchit avec son avocate, Me Olivia Ronen, à faire appel. Celle-ci avait en effet demandé une exemption de peine pour son client car Evandre A. avait prévenu les autorités avant l’ouverture de l’enquête judiciaire contre le gendarme. Le 10 août 2018, il a en effet appelé la gendarmerie pour faire part de son inquiétude face à l’éventualité d’une attaque terroriste d’Alexandre G. « Je voulais endoctriner les gens avec l’esthétique de la violence mais j’étais contre le terrorisme, c’est contreproductif et ça ferait reculer l’extrême droite en France », déclare à la barre celui pour qui « sans race, pas de société. Pour moi, il fallait séparer les races sinon, il y aurait des conflits. »

C’est aussi ce que pensait Julien, mineur au moment des faits. Devant le magistrat, il préfère se considérer comme « racialiste » – comme la plupart des personnes accusées de terrorisme en lien avec l’extrême droite qui réfute le terme raciste. « Je ne vais pas dire « nègre » ou dire que le jaune est plus intelligent que nous. Je vais plutôt dire que nous sommes différents. La race est une réalité génétique et culturelle », a-t-il déclaré. « Le nazisme permet, par la promotion d’une identité d’un peuple supérieur aux autres, de conforter son besoin de remettre en question le système démocratique français », pense l’éducatrice de la protection judiciaire de la jeunesse qui l’a suivi au début de son contrôle judiciaire. Pour le psychiatre, « sa crainte de ne pas exister en tant qu’ethnie est en réalité une crainte de ne pas exister en tant que personne. »

« Je ne souhaite la mort de personne mais après… »

Abreuvé de la théorie du grand remplacement, le petit groupe va naturellement diriger sa haine non plus seulement contre les immigrés, mais aussi contre les groupes vus comme responsables et « puissants » : les institutions, les journalistes et les Juifs. « Je suivais les instructions d’Anders Breivik qui dit qu’il faut s’en prendre aux puissants, a déclaré Alexandre G. à la barre. Quand on est nazi, on pense que ce sont les Juifs qui contrôlent. » Julien ne dit rien de moins devant la section de recherche de la gendarmerie qui l’interroge après son arrestation : « Il serait illogique de dire qu’il faut tuer Mamadou parce qu’il est là. Mamadou, il n’y est pour rien. C’est le système qui les a fait venir-là qui est en cause. » Puis, devant le magistrat : « je ne souhaite la mort de personne mais après… il y a comme un truc qui s’est fait au milieu du Moyen Âge avec les bons chrétiens qui ne devaient pas manier l’argent. Du coup ce sont les juifs qui se sont retrouvés, et encore aujourd’hui, à des postes importants. Pour moi, ces postes importants sont censés représenter notre pays et je trouve ça étrange que ce ne soit pas des Français de souche. » (sic)

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Quoi de plus « naturel » alors que de cibler le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) ? Dans le second document terroriste de l’ancien gendarme, nommée « opération croisée – communiqué de guerre » celui-ci fait aussi une liste détaillée de cibles de puissant et de traîtres. Des députés européens, de gauche comme Yannick Jadot ou de droite, comme Brice Hortefeux, mais aussi une liste de journalistes qualifiés de « féminazies » – terme péjoratif pour désigner des féministes. Deux d’entre eux sont issus de notre rédaction. Ces noms semblent avoir été copiés de listes diffusées sur les réseaux sociaux. Un procédé que l’on retrouve dans l’affaire FRDeter, du nom de ce groupe Télégram sur lequel des militants d’ultra-droite faisaient part de leur volonté d’actions violentes.

Julien a été condamné à cinq ans de prison dont trois avec sursis. À l’annonce de sa peine, qui lui évite un passage par la case détention, le jeune homme s’est effondré en larmes dans les bras de son avocate, Me Modestie Corde. « Je suis contente que la Cour ait pu prendre la mesure de la gravité des faits reprochés, tout en tenant compte de la personnalité « cabossée » de Julien, a réagi son avocate auprès de Politis. La détention aurait été contre-productive car cela l’aurait replongé dans un milieu violent. Julien a pleinement pris conscience de la gravité des faits reprochés et de la « relative » clémence de la peine. » Après le verdict, le jeune homme est allé spontanément à la rencontre des parties civiles et notamment de Me Ilana Soskin, avocate de la Licra, association antiraciste que Julien avait visée dans un échange de SMS sur lequel il disait « go les incendier ». Auprès de Me Soskin, Julien s’est excusé. « Il m’a remercié d’avoir été là pendant les quinze jours de son procès. Il m’est apparu sincère et je dois avouer que ça m’a beaucoup touchée », raconte-t-elle. Une lueur d’espoir dans le sombre tunnel que nous traversons ?

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