« Adieu Tanger » : dans le regard des hommes
Salma El Moumni raconte le tabou des violences sexistes et sexuelles dans la société marocaine à travers le quotidien d’une femme victime de cyberharcèlement.
dans l’hebdo N° 1773 Acheter ce numéro
Adieu Tanger / Salma El Moumni / Grasset, 180 p., 18 euros.
Le corps d’Alia dérange. Dans les rues de Tanger ou dans son lycée, elle prend conscience qu’il est scruté toute la journée par les hommes. Elle est suivie lorsqu’elle rentre chez elle, sifflée quand elle traverse la route et elle fait quotidiennement l’objet de commentaires sexistes qu’elle se force à ignorer grâce à ses écouteurs. Pour se rebeller et mieux comprendre ce qu’elle représente aux yeux des autres, elle se regarde dans le miroir et instaure un rituel : se prendre en photo nue. « Tu as essayé de te voir à travers le regard de ces hommes, du cou au ventre, les fesses que l’on devine devant et qui dépassent du pull trop long, le jean moulant, le sexe trop souvent regardé. »
Quentin, son petit ami, tombe par hasard sur ces clichés et les diffuse sur Internet. Par conséquent, Alia ne respecte pas l’article 483 du Code pénal marocain, qui indique que « quiconque par son état de nudité volontaire, ou par l’obscénité de ses gestes ou de ses actes, commet un outrage public à la pudeur est puni de l’emprisonnement d’un mois à deux ans ». Un compte Instagram publie ses photos, le cyberharcèlement commence. Elle craint la justice de son pays et fuit le Maroc après avoir passé son bac.
Le pouvoir destructeur du regard des hommes
Adieu Tanger, le premier roman de Salma El Moumni, raconte le tabou des violences sexistes et sexuelles dans la société marocaine. Écrit entièrement à la deuxième personne du singulier, ce texte plonge le lecteur dans ce que vit Alia au quotidien. Sa famille ne la soutient pas. Elle se sent seule. Dans une succession de très courts chapitres, ce roman aux accents autobiographiques et aux airs de journal intime dépeint aussi le sentiment ambigu d’être exilé : Alia est forcée de quitter Tanger, ce pays qui l’a « fait suffoquer », mais elle rêve toujours d’y retourner. Un jour, elle tombe sur une publicité marocaine censée sensibiliser au cyberharcèlement sexuel. La campagne annonce : « Pour éviter ce genre de situations, évitez d’envoyer des photos de vous. » Elle comprend qu’elle ne sera plus jamais la bienvenue.
Ce livre décrit alors l’impossibilité de la reconstruction de son identité. À Lyon, elle abandonne ses études, devient serveuse dans un restaurant et cherche à devenir une autre personne. Mais elle est toujours ramenée à son statut d’étrangère. « Lorsque des Maghrébins te croisent dans la rue, ils disent hadi dialna – celle-ci est des nôtres. Tu ne sais plus tellement comment dire ta différence, alors tu te contentes de te taire. » Ce texte très politique raconte de façon sensible le pouvoir destructeur du regard des hommes.