Contre les mégabassines, « la guerre de l’eau a commencé »
En une semaine, les 700 participants au Convoi de l’eau ont relié Lezay – près de Sainte-Soline, dans les Deux-Sèvres – à Orléans, pour demander un moratoire sur les mégabassines. Mais leur mobilisation joyeuse s’est achevée sur un échec.
« Ils arrivent, ils arrivent ! » Vendredi 25 août, 14 heures. Après plusieurs heures de réunion, une dizaine de silhouettes se dessinent derrière les grilles de l’Agence de l’eau Loire-Bretagne, à Orléans. Aux abords du bâtiment, gardé par un maigre cordon de policiers, les centaines de participants du convoi de l’eau ont planté leurs tentes la veille au soir. Sur une scène improvisée dans la remorque d’un tracteur, la délégation du convoi – des membres de la Confédération paysanne, de Bassines non merci et des Soulèvements de la Terre – raconte la discussion qu’elle vient d’avoir avec Thierry Burlot, président du comité de bassin de l’Agence de l’eau (1). « Certains d’entre nous avaient déjà rencontré des membres de l’Agence de l’eau il y a six mois. Aujourd’hui, on sent que leur regard est en train de changer positivement », se félicite Laurence Marandola, porte-parole nationale de la Confédération paysanne.
L’Agence de l’eau Loire-Bretagne s’organise sur deux niveaux. Le comité de bassin est constitué de 190 membres, censés représenter les différents intérêts des usagers (industriels, agriculteurs, collectivités, associations environnementales…). Les propositions de cette assemblée sont discutées et votées par un conseil d’administration présidé par la préfète de Centre-Val de Loire.
Après plus de 300 kilomètres à vélo pour demander un moratoire sur les mégabassines, ces immenses retenues d’eau destinées à irriguer les cultures intensives de céréales, ces mots galvanisent la foule. L’Agence de l’eau, sous la tutelle du ministère de la Transition écologique, subventionne la création de ces réserves artificielles. En novembre 2020, elle a accordé un premier financement de 9,2 millions d’euros (sur les plus de 30 millions prévus) à la Coop de l’eau 79, le tout sur la base d’un protocole d’accord aujourd’hui largement remis en question. Le groupement d’agriculteurs des Deux-Sèvres a ainsi de quoi construire 6 des 16 mégabassines qu’ils souhaitent implanter sur le territoire. Une première est déjà opérationnelle à Mauzé-sur-le-Mignon, dans le marais poitevin, celle de Sainte-Soline devrait être la seconde.
Début juillet, marqué par l’intense répression de la manifestation du 25 mars à Sainte-Soline, Thierry Burlot a fait voter au comité de bassin de l’Agence de l’eau une motion, incitant à réexaminer le protocole qui a conduit au financement des premières mégabassines. La rencontre de la délégation du Convoi de l’eau avec le président du comité de bassin ce 25 août confirme ainsi qu’il reste un espoir : « Thierry Burlot nous a dit que ce serait un camouflet à cette motion si de nouveaux travaux de mégabassines démarraient dans les prochains jours », rapporte Laurence Marandola devant la foule. Un espoir tout de suite refroidi par Julien Le Guet, porte-parole de Bassines non merci : « Ce n’est pas Thierry Burlot qui a le pouvoir de décider d’un moratoire, tout se joue cet après-midi avec la préfète ».
L’eau pour le vivant doit passer avant l’eau économique.
Basile Dutertre, porte-parole des Soulèvements de la Terre.
À peine sortis de leur première réunion dans les locaux de l’Agence de l’eau, les membres de la délégation franchissent une nouvelle fois les grilles du bâtiment – le poing levé – cette fois-ci pour échanger avec Sophie Brocas, préfète de la région Centre-Val de Loire. C’est elle qui préside le conseil d’administration de l’Agence de l’eau, l’instance décisionnelle qui a le pouvoir de trancher sur la question du moratoire. « C’est une institution minée par la FNSEA et au service des usages économiques de l’eau, pour l’agriculture et l’industrie, résume Basile Dutertre, porte-parole des Soulèvements de la Terre. Au-delà du moratoire, nous demandons un renversement de ce système. L’eau pour le vivant – l’eau potable et l’eau pour les milieux naturels – doit passer avant l’eau économique. »
Pas de moratoire
Fanfare, sifflets, casseroles… Tout l’après-midi, les centaines de participants au convoi se relaient pour manifester leur soutien à la délégation qui s’éternise en réunion à l’intérieur de l’Agence de l’eau. Régulièrement, des silhouettes font leur apparition derrière les grilles, le brouhaha se dissipe pour laisser place à une attente anxieuse. Vers 18 heures, le couperet tombe. La préfète refuse de s’engager en faveur d’un moratoire. Pire, l’ombre d’une nouvelle mégabassine plane. Profitant de l’absence des collectifs d’opposants, des barrières ont été installées à Priaires, futur lieu d’implantation de la troisième bassine des Deux-Sèvres. Trois jours plus tard, les tractopelles sont en action sur ce nouveau chantier.
Samedi 26 août, après une nuit d’occupation de l’Agence de l’eau d’Orléans, le convoi plie bagage pour clore cette semaine de mobilisation festive à Paris. Quelques heures plus tard, sur les pelouses du Champ de Mars, près d’un millier de personnes chantent pour avertir le gouvernement : « Bâche par bâche, grille par grille, nous démonterons toutes les bassines ! »
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