Le grand enfumage

Tout en multipliant les événements de démocratie participative depuis 2017, l’exécutif n’a fait qu’ignorer les propositions citoyennes qui en découlaient. Et décide désormais d’affaiblir la seule autorité administrative compétente en la matière.

Lucas Sarafian  • 30 août 2023 abonné·es
Le grand enfumage
La Convention citoyenne sur la fin de vie, à Paris, le 2 avril 2023.
© JULIEN DE ROSE / AFP

À chaque crise que connaît le pays, Emmanuel Macron a la solution. Et depuis 2017, c’est la même : organiser de grands événements pour débattre, en veillant à changer de nom à chaque fois. Après les gilets jaunes, le grand débat national. Après sa réélection face à Marine Le Pen au second tour en 2022, le Conseil national de la refondation (CNR). Entre-temps, une convention citoyenne pour le climat et une autre sur la fin de vie. De grands raouts de plusieurs semaines censés réconcilier les Français avec la politique et, coup double, l’exécutif.

Mais ces grandes manœuvres ont-elles vraiment changé les choses ? « Les CNR [territoriaux] sont passés sous les radars », concède un ancien député macroniste. Le grand débat national n’a été suivi d’aucune réforme. Le sujet des retraites a fait l’objet en 2018 et 2019 de deux ­consultations citoyennes qui n’ont pas su éteindre l’opposition des Français. Et le grand raté de la Convention citoyenne pour le climat reste dans les esprits. Les 149 propositions des 150 participants n’ont jamais été retenues « sans filtre » comme le promettait pourtant Emmanuel Macron. « Cette convention citoyenne a accouché d’idées fortes. Tellement fortes qu’elles n’ont pas été reprises par le chef de l’État à la fin », se rappelle Jean-François Kerléo, professeur de droit public à l’université d’Aix-Marseille.

Sur les sujets majeurs, qui peut croire un instant qu’il y a un consensus en France ?

Éric Woerth

Les dispositifs de ce genre se multiplient, mais rien n’en sort. « On cherche l’introuvable. Sur les sujets majeurs, qui peut croire un instant qu’il y a un consensus en France ? Ce n’est pas vrai, défend Éric Woerth, ex-ministre du Budget de Nicolas Sarkozy rallié à la cause macroniste depuis 2022. On ne peut pas tirer au sort des citoyens et les laisser décider. » C’est pourtant tout le principe de la démocratie participative. Un ancien conseiller passé par trois ministères depuis 2017 refait l’histoire : « Le grand débat a permis une sortie de crise. Il fallait le faire et le président a été maestro. Mais les conventions citoyennes et le CNR sont des objets un peu flous où l’on demande à des citoyens de travailler sur des sujets tout en sachant qu’on ne va pas reprendre leurs recommandations. Le gouvernement a son agenda et sait d’avance ce qu’il va mettre dans sa loi. »

« Des outils de com »

En Macronie, on refuse d’admettre que ces appareils ne sont que des gadgets. Mais il est quand même difficile de tirer un bilan positif de ces opérations tant leurs résultats ont été ignorés. L’exécutif refera-t-il le même coup pour la Convention citoyenne sur la fin de vie, qui a rendu ses conclusions en avril ? Au début du mois de juin, Agnès ­Firmin Le Bodo, la ministre déléguée chargée des Professions de santé, qui a survécu au remaniement estival, a confirmé la présentation d’un texte avant la fin de septembre. Sans s’engager sur une quelconque reprise des recommandations des participants.

Contacté, le cabinet d’Agnès Firmin Le Bodo estime que « les travaux menés et le rapport produit par les 184 conventionnels sont précieux, à l’instar des avis rendus par le Comité consultatif national d’éthique, l’Académie nationale de médecine, l’évaluation de la loi Claeys-­Leonetti réalisée par l’Assemblée nationale, entre autres. Ils viennent s’ajouter aux analyses effectuées par le cabinet de la ministre ». Traduction : cette convention citoyenne ne vaut pas plus qu’une autre discussion.

« Est-ce que ce ne sont pas des méthodes utilisées par le gouvernement pour gagner du temps et ne rien faire ? fait mine de s’interroger la députée socialiste Christine Pirès-Beaune. C’est un semblant de discussion alors que tout repose sur l’Élysée.» Les conventions citoyennes ne seraient donc que des alibis savamment distillés au fil d’un quinquennat. Avec pour seul objectif : maîtriser l’agenda politique. « Il y a un détournement de ces outils, dénonce la vice-présidente du groupe écolo à l’Assemblée nationale et députée Génération·s, Sophie Taillé-Polian. Ce ne sont plus des aides à la décision, mais des outils de communication. »

Ce ne sont plus des aides à la décision, mais des outils de communication.

Sophie Taillé-Polian, Génération·s

Et la politique des marchés à tout-va répond à cette logique. Pour François Kerléo, « ça permet au gouvernement de dire : “on ne s’en mêle pas, c’est la vraie démocratie”. Tout en ayant un contrôle sur ce qui s’y passe puisque les cabinets de conseil répondent aux exigences fixées dans le marché ». D’ailleurs, la proposition de loi encadrant le recours aux prestations de cabinets de conseil, dominants dans le secteur de la démocratie participative, tarde à atterrir à l’Assemblée nationale. Voté à l’unanimité au Sénat en octobre, le texte ne risque pas d’être débattu au Palais-Bourbon cette année. « La volonté politique, on y croira quand la majorité fera en sorte de faciliter son inscription à l’ordre du jour », lance Mickaël Vallet, sénateur socialiste et membre de la commission d’enquête sur les cabinets de conseil.

Le débat public confisqué

Un autre signal interroge : le cas de la Commission nationale du débat public (CNDP). Depuis le grand débat, Chantal Jouanno, ancienne ministre sarkozyste à la tête de l’autorité entre 2018 et 2023, n’a cessé de critiquer la politique du gouvernement. En réponse, l’exécutif a repris la main sur la seule autorité administrative compétente dans le domaine. En avril 2023, Emmanuel Macron propose le nom de Marc Papinutti pour présider cette autorité indépendante. Sa candidature est loin d’être anodine. De nombreux députés et sénateurs y sont hostiles.

La raison de la colère ? Son CV. Ex-directeur de cabinet d’Élisabeth Borne au ministère des Transports (2017-2019), puis de Christophe Béchu à la Transition écologique (2022-2023). En clair, une trop grande proximité avec le gouvernement. Cinquante parlementaires se sont prononcés contre, 38 pour. Il faut une majorité aux trois cinquièmes pour entériner un rejet. Ça passe de justesse. « On affaiblit encore un peu plus les possibilités de la CNDP de mener une enquête et des débats publics», selon le chercheur Guillaume Gourgues.

Un an plus tôt, un discret rapport est rendu au gouvernement. Humblement intitulé « Rétablir la confiance des Français dans la vie démocratique », il est écrit par Patrick Bernasconi, ancien président du Conseil économique, social et environnemental. Dans ce document, une proposition choc : transformer la CNDP en Haute Autorité de la participation citoyenne pour qu’elle n’ait plus « vocation à organiser elle-même des exercices participatifs ». Et dans le même temps, le rapport estime que le centre interministériel de la participation citoyenne doit devenir « le guichet unique d’appui et de conseil à la participation » au sein de l’État. En clair, le seul organe sur lequel le gouvernement a une prise directe, puisque cette cellule dépend de la direction interministérielle de la transformation publique. L’étape suivante dans l’affaiblissement de la participation citoyenne. 

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