Ingrate et injuste, Justine Triet ?
Trois mois après le Festival de Cannes, les propos de la cinéaste semblent plus que jamais fondés.
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« Anatomie d’une chute » : le principe d’incertitude Les vérités en or de Justine TrietMaintenant que la polémique est passée, que penser du fameux discours de Justine Triet à Cannes, le 27 mai dernier ? Rappel : la réalisatrice, après avoir évoqué « la protestation historique extrêmement puissante et unanime de la réforme des retraites », déclarait : « La marchandisation de la culture que le gouvernement néolibéral défend est en train de casser l’exception culturelle française. » Elle parlait aussi d’« un monde de plus en plus hostile », dédiant son prix aux jeunes cinéastes et à celles et ceux qui ne parvenaient pas à tourner. La réaction de la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, eut un parfum corporate peu démocratique. Anatomie d’une chute ayant bénéficié de crédits publics, Justine Triet aurait dû se contenter de dire merci plutôt que de se montrer « ingrate et injuste ». La ministre ne cesse en outre de rappeler que les différents métiers de la culture ont été aidés pendant la crise du covid. En omettant de préciser que de nombreux autres secteurs l’ont aussi été, et que les salles de cinéma sont restées fermées pendant trois cents longs jours sans justification sérieuse.
Les onze organisations de cinéma et les plus de huit cents personnalités qui ont dénoncé « l’idéologie mortifère », autrement dit néolibérale, des deux rapports sur le financement du cinéma rédigés en 2019, l’un par deux députées Renaissance, l’autre par le futur président du CNC, Dominique Boutonnat, étaient-elles hors sujet ? Par ailleurs, le projet « La Grande Fabrique de l’image », que la ministre a présenté elle-même au Festival de Cannes, mobilise 350 millions d’euros et vise à faire « de la France un leader des tournages, de la production de films, séries et jeux vidéo, de la postproduction (effets spéciaux notamment) et de la formation aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel ».
Une phraséologie qui recouvre une réalité de type entrepreneurial, bien éloignée des difficultés rencontrées par les cinéastes débutants ou non. Tandis que, réunis en octobre 2022 pour demander la tenue d’états généraux, notamment pour préserver l’exception culturelle, les professionnels du cinéma n’ont, dans cette perspective, jamais été reçus. Enfin, la nomination récente de Gilles Pélisson à la tête d’Unifrance, organisme chargé de l’exportation du cinéma français, n’a rien de rassurant quant au soutien futur du cinéma d’auteur, étant donné son profil davantage lié à l’audiovisuel. Il a en effet dirigé TF1 pendant six ans, après Eurodisney, Bouygues Telecom et Accor. Alors, « ingrate et injuste », Justine Triet ?