La dangereuse trumpisation de la défense des puissants mis en cause
TRIBUNE. Les critiques victimaires envers la justice émises par des hauts responsables politiques – de Donald Trump à Nicolas Sarkozy – sapent l’État de droit et alimentent les thèses complotistes.
« Si vous regardez bien ce qui est en train de se passer, c’est la persécution d’un opposant politique », déclarait Donald Trump le 3 août 2023, après son inculpation pour avoir tenté d’inverser les résultats de l’élection de 2020. Le 45e Président des États-Unis, adepte de la mise en scène, tente ainsi de se défaire des accusations dont il fait l’objet en recourant à un système de défense empreint de populisme. « Nous sommes sur le chemin de la dictature », soutenait Jair Bolsonaro après sa condamnation, le 30 juin 2023, à huit ans d’inéligibilité pour « abus de pouvoir », concernant les fausses accusations portées sur la fiabilité des urnes électroniques lors de l’élection présidentielle de 2022 remportée par Luiz Inacio Lula da Silva.
En France, condamné par la Cour d’appel dans l’affaire dite des « écoutes », Nicolas Sarkozy y voyait un « combat politique » mené par certains magistrats, n’hésitant pas à soutenir le 18 mai 2023 dans une interview au Figaro : « Ce n’est pas un fantasme. Comme un journaliste l’a révélé mercredi, la présidente de la chambre qui m’a condamné s’en est prise à moi nominativement en 2009 dans un article du Monde. » En 2018, dans un entretien paru sous la plume d’Hervé Gattegno, il déclarait au sujet de l’affaire concernant les soupçons de financement libyen de la campagne présidentielle de 2007, dans laquelle il a été renvoyé le 26 août 2023 devant le tribunal correctionnel : « Je briserai les auteurs de la machination. »
De tels positionnements ne sont aucunement anodins, encore moins émanant d’anciens très hauts ou encore actuels responsables politiques, susceptibles d’incarner une forme d’autorité, à tout le moins d’exercer de l’influence sur les citoyens.
Bien sûr, la critique des décisions judiciaires doit demeurer libre, sans cependant caractériser le discrédit sur un acte ou une décision juridictionnelle, même si la frontière entre les deux peut être poreuse. Il n’est à cet égard pas anodin de rappeler qu’en 2015, avant que sa condamnation ne soit annulée par la Cour de cassation, Henri Guaino avait été condamné pour avoir outragé le juge d’instruction qui avait… mis en examen Nicolas Sarkozy pour « abus de faiblesse » dans l’affaire Bettencourt. En 2021, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy ne manquait pas de déclarer dans la presse, après la condamnation de l’ex chef de l’État en première instance dans l’affaire Bygmalion : « Le gouvernement ne rend pas des comptes aux tribunaux et aux magistrats mais au Parlement et au peuple. On est en train de glisser de la responsabilité politique, vers la responsabilité judiciaire, voire pénale. Je trouve que c’est assez grave. »
Le risque est d’aboutir à un étiolement de la confiance des justiciables dans la justice.
Un certain nombre de positions médiatiques à l’encontre de la justice finissent par se confondre avec une remise en cause de l’impartialité de l’appareil judiciaire et de sa probité. Au-delà même de l’ironie consistant à voir des personnalités pouvant s’enorgueillir de leurs supposées valeurs républicaines à critiquer l’institution judiciaire, le risque est d’aboutir à un étiolement de la confiance des justiciables dans la justice. Or, c’est méconnaître ce qu’elle symbolise, notamment dans son rôle contre les inégalités, c’est aussi déstabiliser son autorité et son crédit.
Ces critiques sont d’autant plus nocives qu’elles bénéficient souvent de relais médiatiques puissants, sans que le contradictoire ne soit toujours exercé, dans un contexte connu de concentration des médias. Une forme de complaisance est régulièrement à l’œuvre.
Ces critiques prospèrent également grâce aux réseaux sociaux. À titre d’exemple, lorsque Trump publie le 24 août 2023 sa photo d’identité judiciaire prise dans une prison d’Atlanta, accompagnée de la légende « Ne vous rendez jamais ! », il le fait sur X (anciennement Twitter) sur son compte qui affiche plus de 87 millions d’abonnés. Plusieurs millions de dollars ont par la suite été récoltés en quelques jours pour sa campagne présidentielle.
De telles communications, si elles ne tournent pas tout simplement en dérision des mesures judiciaires, en relativisent la portée. Elles permettent également, dans une démarche électoraliste, d’adopter une posture faussement victimaire pour convaincre des personnes qui en seraient véritablement, notamment d’un point de vue économique et social. Elles alimentent l’impression d’une absence de caractère équitable, là où les personnalités politiques inquiétées consacrent souvent des moyens considérables précisément pour exercer des recours et faire valoir leurs droits.
En France, alors que les comptes des personnalités politiques les plus connues sur la même application comptent plusieurs millions d’abonnés, celle du parquet national financier en compte près de 16 000. Le combat est nécessairement inégal.
Ces critiques sont d’autant plus nocives qu’elles bénéficient souvent de relais médiatiques puissants.
La responsabilité des personnalités politiques mises en cause est renforcée par le fait qu’elles ne peuvent pas non plus ignorer le succès des thèses complotistes notamment aux États-Unis avec QAnon et, partant, le propre effet de leurs déclarations dans leur prolifération. Un tel jeu peut néanmoins s’avérer particulièrement périlleux pour ses auteurs, puisqu’il instrumentalise l’aspiration complotiste au risque qu’elle s’étende à l’ensemble des personnes et services.
Le plus inquiétant serait d’assister à une convergence entre, d’une part, des critiques contre la justice lorsqu’elle refrène des tentations populistes dans le cadre de politiques voulues mais qui se heurtent à l’invalidation du Conseil d’État ou du Conseil constitutionnel, et, d’autre part, de critiques des mêmes acteurs lorsqu’ils sont concernés par des poursuites judiciaires.
Si nous ne refrénons pas ces critiques ou que nous ne leur opposons pas un contradictoire suffisant, c’est l’État de droit, qui repose notamment sur la séparation des pouvoirs, qui se trouve menacé. Ce sont également les condamnations pour atteintes à la probité qu’on banalise et qu’on étouffe médiatiquement, au profit de considérations tenant à la popularité et à l’influence de ceux qu’elles frappent.
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