La France, nouveau paradis fiscal pour les plus riches ?
Depuis son arrivée au pouvoir, Emmanuel Macron mène une politique de réduction des impôts sur le capital. Au point que l’injustice fiscale entre les plus riches et le reste de la société apparaît plus criante que jamais.
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Comment (véritablement) taxer les riches « En France, on juge qu’il faut cajoler les revenus des plus riches »Supprimer l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et le remplacer par une version ultra édulcorée, l’IFI, pour « impôt sur la fortune immobilière ». Avec une telle première mesure fiscale, dès 2018, Emmanuel Macron ne pouvait pas mieux donner le ton. Lui au pouvoir, les plus riches et les entreprises n’auraient pas à s’inquiéter de politiques fiscales particulièrement dures. Mieux, ils pourraient désormais envisager d’autres avantages fiscaux. Cette première mesure, qui a coûté au minimum 1,5 milliard d’euros, était avant tout symbolique. Car de nombreux économistes le reconnaissent : l’impôt sur la fortune à la française était tout sauf efficace.
« C’était une catastrophe politique et intellectuelle », explique Gabriel Zucman sur le plateau de nos confrères de Mediapart. Pourtant, ce maître de conférences à Berkeley, aux États-Unis, et récent lauréat de la prestigieuse médaille John-Bates-Clark, est loin d’être un économiste néolibéral. Ce qu’il souligne ici, c’est que l’ISF tel qu’il a été imaginé et mis en œuvre en France était gravement défaillant. Au point que de très nombreux contribuables extrêmement aisés réussissaient à passer entre ses mailles. En cause, notamment, le fait que les « biens professionnels » – et donc les grosses détentions d’actions – en étaient exonérés.
Ce surnom de « président des riches », Emmanuel Macron n’a pas voulu s’en débarrasser.
Les critiques à l’égard de l’ISF étaient donc nombreuses. Mais ce ne sont pas ces dernières qu’Emmanuel Macron a entendues. La raison avancée par le chef de l’État pour supprimer l’ISF ? Ce serait une manière de relancer l’investissement dans le pays. Un argument peu, voire pas vérifié depuis, mais qui n’a pas fait revenir le locataire de l’Élysée sur sa mesure qui a marqué au fer rouge le début de son quinquennat. Avec celle-ci, il est devenu le « président des riches ». Depuis, ce surnom lui colle à la peau. Il faut dire qu’il n’a pas vraiment voulu s’en débarrasser. Preuve en est : dans la même loi de finances qui enterrait l’ISF, un autre geste à destination des plus riches était glissé. La mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU), plus connu sous le nom de « flat tax ». Un impôt à taux fixe sur les revenus du capital, notamment les dividendes. Fini la progressivité, comme c’est le cas pour l’impôt sur le revenu. Tout le monde paie désormais le même taux, assez bas (30 %), sur les revenus financiers, y compris les plus riches.
L’argument de la mondialisation
Cette entrée en fanfare des intérêts de la finance dans les plus hautes sphères de l’État français n’a jamais été stoppée. En 2019, Emmanuel Macron pérennise le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) instauré par son prédécesseur, avec un allègement de cotisations sociales. Puis, fin 2021, il poursuit en diminuant l’impôt sur les sociétés (IS) à 25 %. Jusqu’en 1985, ce taux était de 50 %. Un chiffre élevé qu’on ose à peine imaginer désormais. Cette baisse est d’autant plus problématique que l’impôt sur les sociétés est une des rares taxes dont les plus riches, notamment les détenteurs de grandes entreprises, s’acquittent réellement.
L’argument utilisé par le pouvoir pour justifier cette baisse est la mondialisation. Les multinationales s’arrangent en effet pour réaliser leurs profits dans des pays où l’IS est extrêmement faible. En baissant le taux de cet impôt, on espère donc que les multinationales déclareront plus de profits sur le territoire français. Une aberration pour Gabriel Zucman, auteur phare sur l’évasion fiscale. « L’impôt sur les sociétés est à bout de souffle. Au XXIe siècle, celui-ci doit taxer les profits globaux des multinationales et non, comme aujourd’hui, leurs profits pays par pays, car ces derniers sont manipulés par des armées d’experts-comptables », développe-t-il dans La Richesse cachée des nations (Seuil, 2017). Avant d’assurer qu’un impôt sur les bénéfices globaux « augmenterait les recettes fiscales d’environ 20 % – essentiellement au profit des grands pays d’Europe et des États-Unis ». Depuis la parution de cet ouvrage, une taxe mondiale sur les bénéfices a été instaurée. Mais son taux, de 15 %, est dérisoire pour qu’elle soit vraiment efficace.
Ces mesures successives aboutissent à une situation où, désormais, le capital est beaucoup moins imposé que le travail dans l’Hexagone. Comme le relève Le Monde (24 février 2023), un contribuable gagnant 1 million d’euros de salaire est taxé à plus de 54 %, tandis qu’un actionnaire percevant 1 million d’euros de dividendes le sera à 30 %. Une dynamique antérieure à l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, qui l’a toutefois largement perpétuée. Depuis 1985, la part du patrimoine des 1 % les plus aisés dans le patrimoine national a augmenté, passant de 15 à 26 %. En parallèle, celle des 50 % les plus pauvres a baissé, de 8,5 à moins de 5 %. Sur les vingt dernières années, la France est passée de 19 à 141 milliardaires, comme le révèle le classement des 500 plus grandes fortunes françaises publié dans Challenges. Durant la même période, le taux de pauvreté dans le pays a augmenté de deux points, note l’Insee.
Sur les vingt dernières années, la France est passée de 19 à 141 milliardaires.
Autant d’indicateurs qui témoignent de l’impact de ces mesures répétées en faveur du capital sur les inégalités. Et de l’échec évident de la théorie du ruissellement, comme le constate Gabriel Zucman : « L’idée que détaxer les très grandes fortunes est une bonne chose pour l’économie et le reste de la population a été testée. D’un point de vue de la croissance et de l’évolution des inégalités, le bilan est calamiteux. » Pourtant, personne au sein de l’exécutif ne semble avoir la volonté d’arrêter cette dangereuse spirale. Alors que de grandes multinationales ont réalisé des profits mirobolants depuis la crise sanitaire, le gouvernement a systématiquement refusé l’instauration d’une taxe sur les « superprofits », se contentant de parler d’une « contribution exceptionnelle ». Contribution qui ne prendrait pas la forme d’un impôt mais d’une incitation à augmenter les dispositifs d’intéressement et de participation au sein des entreprises.
Injuste héritage
En 2021, le Conseil d’analyse économique, institution composée d’économistes reconnus chargée de réaliser des analyses pour le gouvernement, s’est penché sur les droits de succession. Car, en plus de la forte augmentation du patrimoine dans la richesse nationale, la question de la taxation de l’héritage se pose forcément pour éviter une reproduction trop forte des inégalités. Les conclusions de cette étude sont, une nouvelle fois, effarantes. « Le système de taxation successorale français, progressif par son barème, est cependant limité par des dispositifs d’exonération ou d’exemption dont les justifications économiques sont faibles. Ces dispositifs bénéficient surtout aux plus grandes transmissions et réduisent très significativement la progressivité de l’impôt tout en haut de la distribution. » Une réforme des droits de succession faisait partie du programme présidentiel d’Emmanuel Macron. Mais elle visait surtout à alléger les taxes sur l’héritage même si elle n’a pas été mise en place à ce jour.
Cette situation d’injustice n’est ni tenable, ni soutenable d’un point de vue démocratique et économique.
Gabriel Zucman
Même constat opéré par des économistes de l’Institut des politiques publiques sur le rapport des plus riches à l’impôt. Les plus grandes fortunes du pays ne paient que 26 % d’impôt sur leur revenu, contre environ 50 % pour un contribuable figurant dans les 10 % les plus riches. Témoignant d’une dégressivité de l’impôt pour les plus riches, issues de pratiques de contournement que le gouvernement ne cherche pas particulièrement à enrayer. Malgré tout cela, et dans un contexte de déficit public important, aucune mesure ne vient inverser la tendance.
Pis, Gabriel Attal, alors qu’il était encore ministre chargé des Comptes publics, avait assuré qu’en 2024 le gouvernement demanderait un « effort global » aux Français. Un de plus, après avoir imposé au forceps le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Une réforme dont l’objectif présenté était, justement, la résorption de la dette publique. Des mesures avaient pourtant été proposées par les oppositions, syndicats comme parlementaires, pour taxer les plus grandes entreprises afin de financer le système des retraites. Propositions balayées par la majorité.
En mai 2023, un sondage pour Le Point concluait que près de trois Français sur quatre trouvaient le système fiscal injuste. Dans la Déclaration des droits de l’Homme du 26 août 1789, l’article 13 dit pourtant que « pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Un principe fondateur qui semble s’effriter au profit des plus aisés. Gabriel Zucman conclut : « Cette situation d’injustice n’est ni tenable, ni soutenable d’un point de vue démocratique et économique. »