« La quasi-totalité des services d’urgence et des hôpitaux rencontrent des difficultés »
Le porte-parole de l’Association des médecins urgentistes (AMUF), Christophe Prudhomme, fait le point sur la situation dans les hôpitaux, alors que la France a connu sa journée la plus chaude jamais mesurée après un 15 août.
Depuis la grève dans l’hôpital public survenu en 2019, les revendications du personnel soignant n’ont pas changé : effectifs supplémentaires, augmentation des salaires et arrêt des fermetures de lits et de services. En réaction aux propos du ministre de la Santé Aurélien Rousseau, qui a assuré que le système de santé français était robuste et préparé pour affronter l’épisode caniculaire du moment, Christophe Prudhomme, médecin urgentiste en Seine-Saint-Denis et conseiller régional LFI, porte-parole de l’AMUF, s’alarme et dresse un portrait sombre de la situation en pointant du doigt les pouvoirs publics.
Votre dernière chronique dans l’Humanité dresse un bilan négatif du gouvernement sur l’hôpital et les urgences depuis le mouvement de grève de 2019. Pourquoi les revendications principales n’ont pas été entendues ?
Christophe Prudhomme : Aujourd’hui, ce n’est pas le ministre de la Santé qui décide mais Bercy. C’est Bruno Le Maire qui a déjà fait des annonces sur les économies à faire dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Attention, la logique n’est pas une diminution globale des dépenses de santé, mais une diminution des dépenses prises en charge par la Sécurité sociale. On est face à des ultralibéraux qui n’osent pas dire qu’ils chérissent le modèle américain où la santé devient un service comme un autre. On suit la même pente que les États-Unis. En termes de dépenses, on est à 12 % du PIB destiné au système de santé alors qu’eux sont à 18 %, ce qui n’est pas pour eux un problème économique puisque c’est un gros business. Les résultats en termes de santé publique sont catastrophiques pour les plus pauvres. Emmanuel Macron ne fait plus confiance à l’administration puisqu’il sollicite les cabinets de consultants pour faire son travail. Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, deux secteurs d’activité mobilisent essentiellement des fonds publics : l’éducation et la santé. Pour ces gens-là, ce sont des secteurs qui doivent largement basculer vers le secteur marchand parce que c’est une source de revenu potentiel très intéressante pour les investisseurs.
Aujourd’hui la canicule frappe fort avec quatre départements en vigilance rouge – la Drôme, le Rhône, l’Ardèche, la Haute-Loire et 49 en vigilance orange. Le ministre de la Santé a déclaré que le système de santé n’est pas touché pour le moment. Alors que vous estimez que la plupart des services d’urgences sont en situation de rupture, quelle est votre réaction ?
C’est un déni de réalité de la part du ministre. Le système de santé, en particulier les urgences, n’est plus en capacité d’assurer un service normal à la population en période habituelle, donc cela ne peut pas être le cas au moindre évènement climatique. Ces périodes sont plus fréquentes avec des températures extrêmes, ce qui nécessite une modification de nos modes de vie. On doit apprendre à vivre comme dans le sud de l’Espagne ou en Afrique du Nord avec un autre rythme de travail, d’autres types de bâtiments, d’autres habitudes vestimentaires et alimentaires. Mais il n’y a pas d’explosion du nombre de passages aux urgences. Quand il fait un peu plus chaud ou qu’on affronte une épidémie de grippe, on sait chiffrer l’augmentation d’activité, qui varie de 5 à 20 %. Une des raisons pour lesquelles l’hôpital n’est plus en capacité d’encaisser ces à-coups d’activités, c’est la logique qui a été instaurée depuis maintenant plusieurs années et en particulier depuis la loi Bachelot. Il s’agit d’une logique de fonctionnement de l’hôpital comme des entreprises de production à flux tendu.
Le gouvernement estime qu’on dispose d’un système robuste qui tiendra. Sauf qu’il ne tient plus.
Ces événements climatiques violents sont désormais annoncés, alors pourquoi les pouvoirs publics semblent toujours pris de court ?
Ils ne sont pas pris de court. Le gouvernement estime qu’on dispose d’un système robuste qui tiendra. Sauf qu’il ne tient plus. Après avoir dénoncé le manque de personnel, l’aggravation de la situation depuis deux ans est liée à une fuite du personnel. Il existe 200 000 infirmièr.es en âge de travailler qui ont changé de métier et on ne parvient plus à remplir les écoles professionnelles de santé. Parmi nos revendications, on demande la fin de Parcoursup qui est une catastrophe pour ces écoles professionnelles : des étudiants arrivent par défaut dans ces formations. Dans les écoles d’infirmières, le taux d’échec est maintenant de 25 % alors qu’il était auparavant de 5 %. Le gouvernement dégrade la situation budgétaire pour que le système public se détériore, afin que la frange de la population qui a les moyens se tourne vers l’alternative marchande. Or, on a des arguments pour dire que c’est une catastrophe, avec Orpéa dans les Ehpad par exemple. La logique d’un investisseur, qu’il soit pour ou contre le marché, quel que soit le secteur, ce n’est pas d’assurer le meilleur service dans le cadre d’une délégation de service public, mais d’obtenir le meilleur retour sur investissement pour ses actionnaires.
D’un point de vue politique, quelles solutions préconisez-vous pour inverser la tendance à court et moyen terme ?
Notre proposition politique est celle d’un référendum : pour ou contre les activités privées lucratives du secteur de la santé et du médico-social. Je pense qu’on gagnerait le référendum car la santé doit relever exclusivement du service public dans le cadre de l’aménagement du territoire. D’ailleurs, c’est un principe constitutionnel que le gouvernement actuel ne respecte pas. Dans le préambule de la Constitution, il est indiqué que l’État doit assurer la santé de la population. Aujourd’hui, l’État est défaillant et les conséquences sont chiffrées. L’année dernière, la surmortalité était de 58 000 personnes, ce qui était inattendu même si les raisons sont certainement multifactorielles.
Dans ce contexte, l’hôpital a connu son lot de grèves cet été, la colère gronde toujours.
Oui, la colère est très forte. Même l’association professionnelle Samu – Urgences de France, qui était présidée par François Braun avant son passage éclair au ministère, chiffre la mortalité évitable rien qu’aux urgences, entre 1 500 et 2 000 personnes par an. On peut ajouter les personnes âgées qui n’ont plus de médecin traitant, qui arrivent aux urgences sans suivi adapté dans des états très dégradés et qui décèdent.
La santé doit relever exclusivement du service public dans le cadre de l’aménagement du territoire.
La fin de la délicate période estivale approche. Quel premier bilan faites-vous de cet été 2023 en termes de conditions d’accueil des patients mais aussi d’état du personnel ?
Jusqu’à présent nous avions des périodes estivales où un certain nombre de services et d’hôpitaux étaient en difficulté. Cette année, c’est la quasi-totalité des services d’urgence et d’hôpitaux qui rencontrent des difficultés de fonctionnement. On assiste à une généralisation des dysfonctionnements et donc de la surmortalité. Concernant le personnel, on tire en permanence sur la corde. Il y avait un espoir pour que les choses évoluent favorablement afin que le monde d’après ne soit pas le même que celui d’avant, mais en fait il est pire. Faire grève ne sert pas à grand-chose puisqu’on n’arrête pas la production, donc les personnels quittent l’hôpital. Certains étudiants qui ont passé un concours très difficile, abandonnent en troisième ou quatrième année en raison des conditions de travail en se disant qu’ils ne vont pas faire un métier certes utile socialement mais pas reconnu comme tel par les pouvoirs publics.
Par rapport à la hausse des contaminations du Covid avec le nouveau sous-variant EG.5 qui inquiète l’OMS, vous avez préconisé le retour du masque. Sous quelles conditions et pourquoi cela vous semble essentiel ?
Il faut mener une vraie politique de santé publique qui fasse confiance à la population pour le masque, les vaccins et les médicaments. Le bilan de l’échec des politiques autoritaires doit être fait. Pour le masque, c’est une question de bon sens, le fait d’adopter une attitude qui est la règle dans beaucoup de pays d’Asie. Il faut s’habituer à porter le masque l’hiver lorsque des virus circulent et qu’on est dans une foule. Mais l’obligation du port du masque est contre-productive, comme l’obligation du vaccin. Sans un débat franc sur le fait que l’industrie pharmaceutique se comporte de manière honteuse et illégitime, il y aura une suspicion de la population sur les produits fournis par l’industrie pharmaceutique la plus rentable au monde.
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