Palestine : le numérique, nouvelle arme de répression israélienne
Sous couvert de répondre à des événements violents, le régime de Benyamin Netanyahou mène une stratégie de rétorsion technologique contre les habitants de Cisjordanie, entre contrôle et restrictions.
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Trente ans après Oslo, la victoire des assassins de Rabin Les accords d’Oslo, ou la mort d’une illusion La Palestine, un peuple bien vivant Jeunes de Gaza : résister par l’art et le sport« Say thank you » (dites merci) ; « You’re welcome » (bienvenue) ; « Thank to you » (merci à vous). Voilà des exemples de noms de connexions wi-fi mobiles privées que leurs titulaires palestiniens rendent librement disponibles dans les barres d’immeubles de Cisjordanie. Coupures de courant et instabilité du réseau Internet forment le quotidien des habitants. Une solidarité technologique s’est naturellement mise en place. À Ramallah, capitale de l’Autorité palestinienne et fief du Fatah du président Mahmoud Abbas, le manque de réseau décourage la venue des touristes en provenance de Jérusalem, la ville voisine.
Pour s’y rendre depuis la Ville sainte, il faut s’attendre à rencontrer des difficultés. Si Jérusalem et Ramallah ne sont séparées que de 15 kilomètres, on perçoit à l’occasion de ce simple trajet les obstacles physiques, politiques et technologiques qui séparent les deux villes. Autour de Ramallah se côtoient colonies israéliennes et camps de réfugiés palestiniens, et le réseau téléphonique marque clairement les frontières entre chaque entité.
PayPal ouvre ses services aux colons israéliens dans les colonies illégales, mais pas aux Palestiniens.
Mona Shtaya, 7amleh.
Le réseau 4G et 5G israélien offre un niveau de couverture – à près de 70 % en 2018 – comparable à celui de la France, selon un rapport d’OpenSignal. Les opérateurs israéliens sont autorisés depuis 2015 à développer leur réseau en Cisjordanie, mais, sur la carte de la couverture, les déséquilibres sont criants. Les routes de l’Internet en Cisjordanie suivent les infrastructures routières israéliennes, facilitant le déplacement et l’installation des Israéliens dans le territoire palestinien occupé. Et les villes stratégiques comme Ramallah, Hébron ou Naplouse sont moins bien fournies que les colonies qui les entourent. Derrière, c’est une véritable guerre du réseau qui se joue. C’est du moins ce que dénoncent les ONG de défense des droits numériques palestiniennes, 7amleh (prononcé Hamleh) en tête.
Difficultés d’accès aux réseaux sociaux et à Paypal
Située à Ramallah et membre de la Palestinian Digital Rights Coalition, 7amleh est engagée dans la défense des droits numériques palestiniens. Cette association, créée il y a près de dix ans, œuvre depuis contre la cybersurveillance israélienne, en nette progression ces dernières années. « Nous travaillons à renforcer les capacités des militants en matière de sécurité numérique et nous traitons les atteintes aux droits numériques, explique Mona Shtaya, une des responsables juridiques de l’association. Nous menons également des actions de plaidoyer fondées sur des sources fiables, de manière à adresser des revendications solides à différentes institutions et entreprises technologiques. »
7amleh poursuit désormais deux objectifs principaux : l’accès des Palestiniens aux réseaux sociaux et aux plateformes de paiement comme PayPal. Si les principaux services sont accessibles depuis la Cisjordanie (en fonction de la qualité des connexions Internet), « les politiques de modération du contenu de certaines plateformes sont biaisées en défaveur des Palestiniens », relève la représentante de l’association. Ainsi, les réseaux Meta (Facebook, Instagram, Messenger, WhatsApp) traiteraient avec une sévérité excessive les contenus « palestiniens ».
Les Palestiniens se voient également refuser l’inscription à des plateformes bancaires en ligne, PayPal en tête. « Nous demandons leur ouverture sans discrimination, poursuit l’activiste. PayPal ouvre ses services aux colons israéliens dans les colonies illégales, mais pas aux Palestiniens. Étant donné le taux de chômage élevé qui affecte les Palestiniens et toutes les restrictions à la liberté de mouvement qui les empêchent de trouver un emploi, on pourrait attendre de cette plateforme qu’elle leur facilite la vie pour qu’ils puissent travailler de manière indépendante, en particulier dans la bande de Gaza. »
Si les revendications des Palestiniens se concentrent sur un accès égalitaire au numérique, à l’instar des libertés fondamentales qu’ils revendiquent, 7amleh dénonce également la cybersurveillance constante et grandissante menée en Cisjordanie et à Gaza. L’affaire de cyberespionnage autour de Pegasus, logiciel espion du groupe israélien NSO, a révélé le ciblage de défenseurs des droits palestiniens, mais c’est surtout l’espionnage de masse qui inquiète le plus l’association : « Les Israéliens testent leurs technologies de surveillance sur les Palestiniens avant de les exporter. En Palestine, nous parlons du contrôle de la population. En tant que puissance occupante, les Israéliens veulent contrôler les Palestiniens, recueillir davantage d’informations et de données, ce que leur facilitent leurs technologies. »
Observés et surveillés
Au-delà de la collecte des données, c’est bien un contrôle politique qui est en jeu. « Gardez à l’esprit la façon dont un État militaire ou un État autoritaire se sert de logiciels comme Pegasus pour répandre la peur, souligne Mona Shtaya, faisant référence à des pays comme Israël, le Maroc, l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis. Nous vivons dans une situation panoptique. C’est-à-dire que nous, Palestiniens et autres habitants de la région, avons cette impression d’être toujours observés et surveillés. Cela nous affecte au quotidien. Cela affecte même nos appels avec nos proches et les membres de notre famille. »
Un article du Washington Post de novembre 2021 faisait déjà état d’une multiplication de logiciels de reconnaissance faciale en Cisjordanie et à Gaza. Les applications Blue Wolf et White Wolf sont particulièrement pointées du doigt car utilisées par les colons en Cisjordanie dans leurs opérations pour étendre leur territoire. Pour la représentante de 7amleh, dénoncer une technologie en particulier ne saurait cependant suffire : « On parle de caméras, de Blue Wolf, d’armes intelligentes et de ville intelligente. Mais il y en a beaucoup d’autres, et les Israéliens utilisent parfois différents logiciels espions que nous ne connaissons pas. »
L’argument du terrorisme
Le gouvernement hébreu rejette régulièrement les accusations de cyberespionnage. Il a par exemple réfuté l’utilisation de Pegasus à l’encontre des Palestiniens. L’article du Washington Post indique pourtant que l’utilisation de Blue Wolf a bien été officialisée dès 2019. Mais alors, comment justifier la mise en place de telles technologies ? Lior Tabansky, responsable du Centre de recherche interdisciplinaire du cyber (ICRC) de l’université de Tel-Aviv, comprend ce développement de la cybersurveillance comme une réponse à deux problématiques : « Les Israéliens sont largement d’accord sur le fait que la cybersécurité est nécessaire à la survie de l’État. Mais l’appréhension de ces technologies comme un atout économique, et pas seulement comme un moyen de gestion des risques et de défense, a finalement atteint la sphère publique du pays. En Israël, la cybersécurité suit donc deux voies interconnectées : la sécurité et le renseignement d’une part, l’économie civile d’autre part. »
Les entreprises privées dégainent leur argument majeur : ce sont des moyens de lutter contre la criminalité et le terrorisme à l’heure où les communications cryptées sont devenues la norme dans ces milieux. NSO, par exemple, se targue d’avoir permis l’arrestation de nombreux terroristes partout dans le monde et ainsi évité des attentats majeurs : « Si vous (les Français) avez pu passer, en 2021, un réveillon de Noël sans catastrophe terroriste dans votre pays, vous pouvez remercier NSO », déclare une des responsables de la communication du groupe.
Au cœur d’enjeux sécuritaires de premier plan, la situation entre Israéliens et Palestiniens s’est considérablement tendue ces derniers mois, avec des répercussions évidentes sur le cyberespace. « Je dirais qu’au cours des dernières décennies nous avons été témoins de la façon dont cette occupation militaire et cette discrimination systématique à l’encontre des Palestiniens ont été déplacées vers le numérique, nouveau champ de bataille », constate Mona Shtaya.
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