Afrique : le jeu dangereux de Macron
Dans le « pré carré » africain de la France, les coups d’État se succèdent. Une « épidémie de putschs » selon le président. C’est pourtant bien l’heure d’un bilan global de six décennies de post-colonialisme à la française qui a sonné.
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L’image se répète. Un quarteron de militaires en treillis donnant lecture d’un communiqué annonçant la destitution du pouvoir en place, la suspension des institutions, la fermeture des frontières, et la proclamation d’un improbable comité patriotique qui promet, avec emphase, la restauration de la démocratie : voilà à quoi on assiste depuis trois ans dans ce qu’on avait coutume d’appeler le « pré carré » de la France en Afrique. La Guinée, en 2021, le Burkina Faso, par deux fois, en 2022, le Mali, également par deux fois, en 2020 et 2021, le Niger, en juillet dernier, et enfin, le 29 août, le Gabon ont connu des sorts apparemment comparables. Devant les ambassadeurs, Emmanuel Macron a parlé d’une « épidémie de putschs ». Formule spécieuse qui suggère l’existence d’un mal endogène qui n’aurait rien à voir avec la politique française.
C’est pourtant bien l’heure d’un bilan global de six décennies de post-colonialisme à la française qui a sonné. Terrible constat que celui-ci : quand ces pays croient se libérer de leurs potentats, ce n’est pas pour basculer dans la démocratie, mais pour se livrer à des juntes qui annoncent le pire. Mais gare tout de même aux amalgames ! Si au Niger le président destitué, Mohamed Bazoum, offrait quelques garanties démocratiques, Ali Bongo au Gabon, fils de son père, et pur produit de la Françafrique, en était à organiser son nième tripatouillage électoral. À son sujet, on pense au mot cynique de Roosevelt à propos d’un dictateur nicaraguayen : « Celui-là est un fils de pute, mais c’est notre fils. » La triviale formule pourrait s’appliquer aussi à ceux qui résistent encore, comme le Tchadien Mahamat Idriss Déby, qui a succédé en 2021 à son père, issu lui-même d’un coup d’État, ou à l’inamovible camerounais Paul Biya, 90 ans dont quarante de règne et de corruption.
La ministre française des Affaires étrangères se paye de mots quand elle affirme que ‘la Françafrique est morte depuis longtemps’.
On comprendra que la France est à la peine quand elle excipe laborieusement de sa bonne foi démocratique. La démocratie n’est nulle part dans cette affaire, ni dans des régimes longtemps cajolés par Paris ni chez les putschistes. La motivation de ces derniers est d’ailleurs souvent pusillanime. À Niamey, le chef des rebelles assouvit une vengeance parce qu’il n’avait pas la promotion escomptée. Et à Libreville, le principal conjuré est un produit du système Bongo, et corrompu lui aussi jusqu’à la moelle. On observe d’ailleurs au Gabon que les nouveaux maîtres du pays, sans doute en raison de leur consanguinité avec le régime, se gardent bien de mettre en cause la France. Cela viendra. En attendant, le général Oligui Nguema a fait patte de velours, le 4 septembre, en promettant une transition démocratique, oubliant seulement d’en préciser le calendrier. Total n’est pas près de devoir renoncer à sa très profitable activité. Tel n’est pas le cas au Niger et au Mali, où l’hostilité est vive.
Plutôt que d’analyser ses propres erreurs, Paris préfère insister sur le rôle de la Russie, dont le pouvoir de nuisance, bien réel, ne peut en aucun cas constituer un facteur explicatif. La cause profonde est l’amertume au Niger et au Mali de populations qui ont cru en la capacité de la France d’éradiquer le jihadisme. Des illusions que la France a entretenues avec l’opération Barkhane en étendant sa sphère d’intervention à l’ensemble de l’espace sahélien, et en misant tout sur le militaire, quand le jihadisme a de profondes racines sociales. Les populations n’ont pas été plus sécurisées, et n’ont vu aucune amélioration de leur condition. D’où l’idée, sans doute exagérée, que la présence militaire française n’avait d’autre but que le maintien de nos activités minières d’extraction d’uranium et de manganèse. Le retour du passé colonial a fait reste.
La ministre française des Affaires étrangères, Catherine Colonna, se paye de mots quand elle affirme que « la Françafrique est morte depuis longtemps ». C’est une revendication d’indépendance qui agite aujourd’hui les pays du Sahel, et le Gabon. Celle-ci prend des formes souverainistes qui sont dans l’air du temps, bien au-delà de l’Afrique. Si Macron n’est pas responsable du passé colonial de la France, il est responsable de n’avoir pas donné de signes crédibles de rupture. La question se pose au Niger. Que la France refuse de reconnaître le pouvoir des putschistes se comprend. Mais le bras de fer engagé autour du sort de notre ambassade transformée en fortin peut déraper à tout instant. Agiter la menace d’une intervention militaire, comme le fait Macron, est un jeu dangereux, et d’un autre temps.
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