« Les Feuilles mortes », lumières de Finlande
Aki Kaurismäki revient avec un film en forme d’épure, mêlant l’humour et la grâce.
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Les Feuilles mortes / Aki Kaurismäki / 1 h 21.
Ansa (Alma Pöysti) et Holappa (Jussi Vatanen), les deux protagonistes des Feuilles mortes, vont voir The Dead Don’t Die, de Jim Jarmusch, un film de zombies dans la lignée ironique de La Nuit des morts-vivants. Au sortir de la salle, un spectateur dit à un autre : « Le film m’a fait penser au Journal d’un curé de campagne, de Bresson. » Et l’autre de lui répondre : « Moi, c’est plutôt à Bande à part, de Godard. » Au jeu des références, c’est portnawak !
Plus tard, une femme comparant les hommes à des porcs se voit répliquer par son amie, Ansa : « Non, les porcs sont futés et sympathiques. » Les Feuilles mortes, qui a reçu le prix du jury à Cannes, est truffé de ces reparties loufoques dont le cinéaste finlandais a le secret. Il multiplie les mots d’auteur au bord – mais au bord seulement – du désespoir. Voici du Kaurismäki à l’os, avec une intrigue minimaliste, quasi biblique : une femme et un homme se rencontrent et tombent amoureux.
Foi inébranlable dans le cinéma
L’idylle connaît des obstacles : ils sont pauvres, malhabiles (l’homme perd le papier où elle avait noté son numéro de téléphone, chacun ignorant le nom de l’autre), il est alcoolique. Mais cette idylle doit exister face à la solitude des êtres et aux malheurs du monde, qui se manifestent par les nouvelles omniprésentes de la guerre en Ukraine et des crimes russes. Tragédie d’autant plus prégnante que nous sommes ici en Finlande. Une histoire d’amour naissante n’est qu’une toute petite lumière en cette sombre époque. Une lumière quand même.
Aki Kaurismäki venait de réaliser deux films mettant en scène des réfugiés, Le Havre (2011) et L’Autre Côté de l’espoir (2017), quand il a annoncé mettre un terme à son activité de cinéaste. Il ne pouvait revenir que porté par une nécessité, même s’il continue à ne pas se prendre au sérieux. Avec un film sans fioritures, forcément humble : une épure. Une histoire d’amour, donc. Et quelque chose en plus : l’affirmation d’une foi inébranlable dans le cinéma. Ce qui n’empêche pas l’humour, noir le plus souvent. C’est devant une salle de cinéma, qui arbore nombre d’affiches de films faisant partie du panthéon de Kaurismäki, que se détermine l’avenir d’Ansa et Holappa. La fin est magnifique, qui se place sous l’égide des Lumières de la ville (un des hommages à Chaplin que recèle le film). On y perçoit un message envoyé mezza voce : dans notre monde hostile, le cinéma nous protège.