« IV/III » : la réalité en pleine face

Pascal Bouaziz et Jean-Michel Pires récidivent avec un troisième album de Bruit noir. Sombre et radical. Politique avant tout.

Jacques Vincent  • 20 septembre 2023 abonné·es
« IV/III » : la réalité en pleine face
Le ton est sombre, voire brutal, surtout à la première écoute, qu’on se prend comme un coup en pleine face.
© Simon Gosselin

IV/III / Bruit noir / Ici d’ailleurs.

Maintenant qu’il a été mis fin, par ses protagonistes mêmes, à l’histoire de Mendelson il y a un an, Pascal Bouaziz et Jean-Michel Pires peuvent se consacrer entièrement à Bruit noir. Après les deux premiers volets d’un futur triptyque, I/III et II/III, on attendait logiquement l’arrivée de III/III. Ce sera finalement IV/III. Pas histoire de jouer à l’album perdu mais parce qu’ils ont décidé de garder III/III pour eux. « Trop bon », disent-ils dans « Bruit noir IV », avant d’ajouter : « Marre de lâcher de la confiture à ce pays de cochons. » Première déflagration bien dans leur manière qui n’épargne rien ni personne. Surtout pas eux-mêmes.

Les moyens employés sont assez modestes : les mots de Pascal Bouaziz mis en musique par Jean-Michel Pires dans un style qui évoque souvent l’impact un peu irréel d’une pluie de météorites. Mais les mots sont des projectiles imparables quand ils sont lancés avec autant de colère, de rage que d’intelligence dans leur puissance brute. Pas de litotes ni d’euphémismes, rien pour habiller la réalité qui la ferait voir dans une lumière moins implacable. On appellera donc un chat un chat et, surtout, un salaud un salaud.

Bruit noir est cru et ne fait rien pour faire joli.

Bruit noir est cru et ne fait rien pour faire joli. Bruit noir parle du monde d’aujourd’hui et de la catastrophe qui vient. Sur un mode radical loin de tout consensus affadissant. On se sent tout de suite moins seul en cette compagnie, d’autant que, si le verbe est haut, il ne vient pas d’en haut mais reste à hauteur de tout un chacun. Et la question n’est pas de savoir si on adhère à chaque propos, plutôt de reconnaître la réflexion à laquelle il invite. Certes, le ton est sombre, voire brutal, surtout à la première écoute, qu’on se prend comme un coup en pleine face. Mais les suivantes laissent apparaître d’autres teintes, des émotions qui avaient échappé dans un premier temps. De la tendresse, même.

Bruit noir IV/III

C’est l’émotion du « Visiteur », qui évoque la question de l’immigration à travers le dialogue du narrateur avec un jeune immigré alors qu’il anime un atelier d’écriture à l’Armée du salut. Au fur et à mesure du récit terrible il se sent de plus en plus démuni, seul et honteux presque, avec sa bonne conscience et sa poésie, avec ce qu’il pensait être une action modeste et généreuse, impuissant et inutile malgré toute sa sincérité subitement vaine.

Des questions qui dérangent

C’est la tendresse de « Petit Prince », hommage inattendu à l’auteur de « Purple Rain ». Mais aussi, dans le très beau « Communiste », celle mêlée d’admiration devant le courage, l’intelligence et la pugnacité de certains activistes comme François Ruffin ou Denis Robert. L’admiration de quelqu’un qui avoue rester lui-même à l’écart, se contenter d’être spectateur, « un touriste » (« je visite, j’admire, mais je ne reste pas »), ce qui est quand même le lot de beaucoup d’entre nous. Ces chansons nous tendent un miroir où se reflètent nos faiblesses et nos contradictions. Elles ne prétendent pas apporter des réponses ou des solutions mais dénoncer et poser des questions. D’autant plus celles qui dérangent.

À travers, par exemple, une phrase comme celle-ci : « Je ne vois plus qu’une dictature mondiale éclairée pour nous sauver du désastre annoncé », qui résonne particulièrement au moment où l’on voit quelques climatosceptiques revenir sur le devant de la scène et où l’on assiste tous les jours au spectacle affligeant de celles et ceux qui tiennent les manettes des pouvoirs économique, politique et médiatique, s’évertuant à en faire le moins possible, et où l’on imagine mal, dans ces conditions, comment la majorité des gens pourraient accepter que la solution soit de leur seule responsabilité individuelle.

Une façon de poser une question étrangement peu abordée : celle de savoir ce qui se passe si une majorité refuse les mesures devenues urgentes pour sauver ce qui peut encore être sauvé et, par extension, si on ne va pas finir par se retrouver devant le choix entre deux sacrifices : celui de la planète ou celui de la démocratie. Bruit noir est aussi lucide qu’irréductible et, en cela, nécessaire.

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Musique
Temps de lecture : 4 minutes