Charité ou partage des richesses ?
Plus d’un tiers des Français ont du mal à se nourrir, en quantité et en qualité. Et ce n’est pas l’aumône versée aux Restos du coeur par LVMH ou Total qui va changer la donne. Une vraie piste : une sécurité sociale de l’alimentation.
dans l’hebdo N° 1775 Acheter ce numéro
Bernard Arnault (LVMH) a annoncé faire un don de 10 millions d’euros pour aider les Restos du cœur à retrouver l’équilibre financier. TotalEnergies lui a emboîté le pas avec 5 millions. L’exécutif demande maintenant aux grandes firmes d’être solidaires avec les plus pauvres, qui sont dépendants de l’aide alimentaire. Du fait de la stagnation des salaires et de la hausse de l’inflation, en particulier dans les domaines de l’énergie et de l’alimentation (1), ces derniers voient leur nombre augmenter tous les ans depuis quelques années. Le 17e baromètre Ipsos-Secours populaire français, qui vient d’être publié, donne des chiffres ahurissants, surtout pour un des pays les plus riches du monde. Plus d’un tiers des Français ont du mal à se nourrir, en quantité et en qualité ; beaucoup sont obligés de sauter des repas ; quant aux fruits et légumes frais, c’est un luxe presque interdit.
Pour l’alimentation, + 21 % en deux ans.
Pourquoi tant de personnes sont-elles si pauvres ? Parce que les mêmes firmes qui font aujourd’hui la charité refusent depuis des dizaines d’années d’augmenter les salaires de leurs employés. Les classes moyennes et populaires (incluant les fonctionnaires) s’appauvrissent, et ce phénomène s’est accéléré ces dernières années. Ce scandale n’est pas dû à une invasion de sauterelles mais résulte de choix politiques successifs concernant le partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits. D’un côté, désindexation des salaires de l’inflation, détricotage du code du travail, casse des services publics… De l’autre, dérégulation des flux financiers, baisses de charges et d’impôts, niches fiscales, aides massives aux grandes entreprises (environ 200 milliards d’euros l’année dernière). Dans un tel contexte politique et institutionnel, ce ne sont pas les associations qui pourront changer les choses, même si évidemment elles répondent à l’urgence, et encore moins la charité hypocrite de LMVH et de Total.
Une piste prometteuse, mais qui devrait s’inscrire dans une inversion systémique du partage de la valeur, est celle d’une sécurité sociale de l’alimentation (SSA). Plusieurs associations creusent l’idée depuis quelques années (Ingénieurs sans frontières, l’Atelier paysan). Il s’agirait de créer des caisses locales auxquelles tout le monde cotiserait selon ses moyens, et qui permettrait de verser quelque 150 euros par mois à chacun pour des dépenses alimentaires. Celles-ci seraient conventionnées : on pourrait progressivement exclure les produits transformés malsains et favoriser les achats locaux et/ou bios. Les choix de conventionnement seraient décidés en commun, par des procédures de démocratie directe ou représentative, et localement, pour redonner de l’autonomie et de la dignité aux personnes dans leurs choix alimentaires. Une usine à gaz nationale et centralisée n’autoriserait pas cette autonomie. La SSA permettrait en outre, par le conventionnement, de réorienter le système agricole vers un modèle moins destructeur et garantirait des revenus décents aux agriculteurs.Une boucle vertueuse en somme.
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