Contre l’A69, des citoyens ont un itinéraire bis
Mobilités douces, agroécologie, préservation de la biodiversité, création d’emplois pérennes : les opposants à la future autoroute Castres-Toulouse révèlent leur projet alternatif pour leur territoire.
dans l’hebdo N° 1775 Acheter ce numéro
Le 1er septembre, à la première heure, les forces de l’ordre sont arrivées en masse à Vendine (Haute-Garonne), sur le chantier de l’A69, afin de permettre l’abattage d’arbres parfois centenaires. Cette date marquait la fin de la période de protection des nids d’oiseaux. Les opposant·es au projet autoroutier se sont à nouveau mobilisés : douze vaillants « écureuils » ont décidé de grimper dans les branches pour défendre les autres arbres encore debout, et deux personnes, dont Thomas Brail, porte-parole du Groupe national de surveillance des arbres, ont lancé une grève de la faim.
Même si le chantier porté par l’entreprise Atosca a démarré en mars dernier, des citoyens, des habitants et des élus locaux continuent de résister sur le terrain et dans les tribunaux, et tentent d’imposer leur vision de la société dans le débat public. Depuis plusieurs mois, une partie du collectif La Voie est libre a discrètement planché sur un projet alternatif très étoffé, simplement nommé : « Une autre voie ». Karim Lahiani, un paysagiste-urbaniste qui a grandi sur ce territoire, les a accompagnés dans cette démarche constructive. « Quand j’ai pris connaissance du fond du projet de l’A69, il est devenu évident que c’était une caricature de tout ce qu’il ne fallait plus faire, un projet plus du tout en résonance avec notre époque. Il fait 43 °C à Toulouse et on abat des platanes centenaires pour un projet qui ne servira que des intérêts privés. »
La base de sa réflexion repose sur le foncier. Il s’est souvenu de l’expérience de Notre-Dame-des-Landes et que, lors de l’abandon du projet par l’État, les habitant·es de la ZAD et du bocage n’avaient pas vraiment de plan B pour les terres redevenues disponibles. Il s’est alors demandé ce qu’il faudrait faire des 366 hectares qui reviendraient dans le giron public au moment de l’abandon de l’A69. Pour Karim Lahiani, c’est une occasion unique d’inventer un projet de territoire autour de trois axes majeurs : les mobilités en milieu rural, l’agriculture et le vivant.
L’un des points forts de ce projet alternatif réside dans l’interconnexion des mobilités douces, basée sur trois fondamentaux, afin de réduire considérablement la part modale de la voiture : le réaménagement de la RN126, notamment avec un réseau de transports en commun densifié, la réhabilitation de la ligne ferroviaire avec cinq nouveaux arrêts et davantage de trains courts et longs pour desservir Toulouse, Castres et les villages, et enfin la création d’une véloroute nationale bioclimatique sur 87 kilomètres entre Toulouse et Mazamet.
Leur autoroute est un projet ringard, digne des années Pompidou !
Marie-Odile Marché, élue municipale de Teulat.
« Il n’y a pas de territoire enclavé en France ! [Les tenants de l’A69] ont enfermé le débat sur le nombre de minutes gagnées avec l’autoroute mais, pour nous, cela n’a aucun sens, notamment si nos paysages sont détruits par des voies de bitume. Leur seul but est d’augmenter le nombre de voitures, alors que c’est incompatible avec les objectifs climatiques nationaux et internationaux », décrypte Karim Lahiani. « Leur autoroute est un projet ringard, digne des années Pompidou ! Ils ne pensent pas aux réels besoins des habitants des villages entre Castres et Toulouse, à savoir des pistes cyclables, des bus à des heures pertinentes et une nationale sécurisée qui reste gratuite ! C’est indispensable, surtout avec la crise sociale actuelle », s’indigne Marie-Odile Marché, élue municipale de Teulat, village du Tarn qui pourrait être coupé en deux par l’A69. Une logique de multimodalité qui assurerait une qualité de vie à ceux qui décident de rester vivre dans leur village tout en travaillant dans les grandes villes. Une voie pour sortir de la métropolisation galopante du territoire.
Mille emplois durables
Pour pousser encore plus loin le projet de territoire autour de la bifurcation écologique, l’équipe a imaginé sept grands équipements disséminés sur tout le tracé. Par exemple, une cité du vélo pourrait voir le jour à Castres, un hameau du low-tech à Villeneuve-lès-Lavaur, un centre national des oiseaux à Saïx, ou encore une « centrale des fertilités » à Gragnague, à la place de l’usine à bitume qui fait polémique. Ce projet alternatif n’est pas seulement dans l’opposition et l’utopie : l’équipe a réfléchi aux questions économiques, d’emplois et même à un montage financier. Ainsi, ses membres ont estimé à mille le nombre d’emplois durables créés dans l’écotourisme, l’écoconstruction, l’agriculture et de nouvelles filières artisanales telles que la conception de vélos made in France, et 2 000 emplois indirects.
Le coût global d’un tel projet de territoire n’a pas encore été chiffré, mais Karim Lahiani a déjà identifié 100 millions d’euros pour le lancer, dont 30 millions pour la véloroute nationale. La moitié de cette somme pourrait provenir de politiques publiques déjà existantes (plan Vélo, Biodiversité 2030, France 2030 ou des aides régionales et européennes), un quart serait une réallocation des financements dédiés à l’A69, et le reste viendrait de « nouveaux financements locaux ». Une société d’économie mixte détenue à 85 % par les collectivités locales serait créée.
Les opposants peuvent compter sur le soutien de quelques élus locaux, comme Anne Stambach-Terrenoir, députée La France insoumise de la Haute-Garonne, qui a remis ce projet en main propre à la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, et a alerté Clément Beaune, le ministre des Transports, sur les véritables enjeux du territoire. « Nous demandons clairement un moratoire sur ce projet d’autoroute afin de laisser le temps au Conseil d’État, saisi par les opposants, de s’exprimer, et aux politiques locaux d’étudier ce projet alternatif innovant, d’utilité publique et respectueux des équilibres écologiques de la vallée du Girou. Une zone Natura 2000 est menacée mais n’a pas encore été touchée, il est encore temps d’agir », assène la parlementaire. Le projet alternatif n’est pas figé et sera enrichi avec d’autres habitants, élus, agriculteurs et entrepreneurs.
Le politique a évacué la question du sensible, du bonheur, alors que ça devrait être au cœur de notre projet de société.
Karim Lahiani, urbaniste
La campagne « 100 000 tracts pour changer l’histoire » a débuté sur les réseaux sociaux et va se lancer sur le terrain dans les villages et les grandes villes afin de donner de la visibilité à la mobilisation et aux propositions. Une mobilisation nationale est prévue les 21 et 22 octobre, mais la pression citoyenne sera déterminante ces prochaines semaines, avant que le projet atteigne le stade de l’irréversibilité. « Le politique a évacué la question du sensible, du bonheur, alors que ça devrait être au cœur de notre projet de société, conclut l’urbaniste. Le projet “Une autre voie” est une opportunité de tout renverser, d’ouvrir le champ des débats sur nos problèmes d’aménagement du territoire en France, sur les thématiques du vivre-ensemble et sur l’attention envers le vivant. »