Corlay veut sauver son collège
La décision brutale du conseil départemental des Côtes-d’Armor de fermer ce petit établissement en zone rurale interroge sur ses motivations et suscite une très forte opposition locale.
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« Vous allez voir, ça va être bondé », avertit Élodie Legal. Ce vendredi 1er septembre, c’est fest-noz militant contre la fermeture du collège à Corlay, bourg rural du sud-ouest des Côtes-d’Armor. Dans la salle des fêtes envapée d’effluves saucisses-frites et de bière artisanale, plus de neuf cents personnes – autant que la population de Corlay – enchaînent les chorégraphies de la tradition bretonne. On est venu de tout le canton. « On s’imaginait peut-être que l’été allait nous démotiver : c’est raté », constate Élodie Legal.
Cette enseignante au collège, quinze ans de militance syndicale à SUD Solidaires, était présente le 24 mai quand Jean-René Carfantan, vice-président du conseil départemental délégué à l’éducation, a reçu en urgence les personnels du collège, les parents d’élèves et les élu·es de la municipalité, pour leur annoncer la fermeture du collège Pier-an-Dall en juin 2024. Sidération.
« Avec un conseil départemental à gauche, on se pensait à l’abri d’une telle décision. On s’est sentis trahis », confie Élodie Legal. Le canton s’enflamme. Le 9 juin, 350 personnes se rassemblent pour un plan de bataille. Une pétition de soutien est lancée, signée par 20 000 personnes début septembre. Une association, Maintien du collège de Corlay pour une ruralité vivante, est créée. « Au-delà des parents d’élèves, cette mobilisation motive toute la population », souligne l’enseignante.
On « monte » à Saint-Brieuc, la préfecture. Manifestation devant le conseil départemental, rencontre avec le directeur académique des services de l’Éducation nationale (Dasen) des Côtes-d’Armor : sans effet. Pour des raisons d’économie, le secteur de Corlay est tenu de rallier le canton voisin et son collège de Saint-Nicolas-du-Pélem.
L’association contre-argumente sur tous les fronts. Des localités du secteur se retrouveront à près de 30 kilomètres de leur futur collège. Conserver Pier-an-Dall aurait nécessité 6 millions d’euros de travaux ? Selon les artisans sollicités, il y en aurait pour quatre fois moins. Les enseignant·es rechigneraient à venir à Corlay ? L’équipe pédagogique est stable depuis des années. Les résultats ne sont pas bons ? Avec 94 % de réussite au brevet en moyenne ces quinze dernières années, ils sont parmi les meilleurs du département. En 2020, le collège a décroché, avec l’école primaire voisine, le prix « coup de cœur » du premier concours Chercheurs en actes, créé par le ministère de l’Éducation nationale, qui récompense l’innovation en matière d’acquisition de compétences scientifiques concrètes par les élèves.
Le maintien du collège perdrait de l’intérêt devant l’attractivité du privé. Dans une Bretagne où à peine 60 % des élèves étudient dans le public, la proportion n’est pas moindre dans le secteur de Corlay, en dépit de la concurrence du proche collège catholique Jean-XXIII de Quintin, qui dispose de son propre service de ramassage scolaire et propose les options latin et allemand… supprimées par l’Éducation nationale à Pier-an-Dall. Et puis il y a cet argument du Dasen qui exaspère : à Pier-an-Dall, les élèves ne seraient pas en mesure d’acquérir les « compétences psychosociales » nécessaires à leur pleine intégration au lycée et dans les études supérieures.
On nous traite quasiment d’arriérés !
François Auffret
« On nous traite quasiment d’arriérés ! » s’étrangle François Auffret, jeune Corlaysien qui se destine à reprendre la gérance du café Carpe diem, repaire du bourg. Les élèves de Corlay s’orientent certes plus souvent que la moyenne en lycée professionnel ou agricole et font moins d’études post-bac. « Mais ici, au contraire de bien des collèges, ce n’est pas dénigré, rétorque Élodie Legal. Je suis en colère contre le double langage de l’Éducation nationale : on prétend que toutes les voies sont honorables, mais les indicateurs de réussite des établissements dévalorisent l’orientation en filières non généralistes, plutôt prisées en milieu rural. Quid des indicateurs d’intégration dans la vie active, d’autonomie financière, d’épanouissement personnel après le collège ? Ça serait pour le bien de nos enfants qu’il faudrait le fermer. On est en plein discours colonialiste ! »
L’émoi dépasse les perspectives éducatives. « C’est le maintien de la ruralité qui est en jeu ici, affirme Pascal Ambois, très impliqué dans la défense de l’école publique. Un collège, même petit, ça structure la vie sociale locale. » Plusieurs services publics locaux ont déjà été restreints (La Poste) ou délocalisés (Trésor public, gendarmerie), déplore Hubert Le Lay, patron du Carpe diem. « Ce sont nos racines, nos vies ! s’élève Nicolas Pierrick, agriculteur à la retraite de Plussulien, bourg voisin, et ancien collégien. On ne supporte plus ce mépris pour le sud de la N12. » Cette artère, qui relie Rennes à Saint-Brieuc et Morlaix, départage le Centre-Bretagne rural du Nord côtier, siège du pouvoir départemental de nombreux services. Estelle Collin, agente immobilière, redoute les répercussions économiques : « Deux familles m’ont déjà signifié qu’elles renonçaient à leur projet d’achat d’une maison après avoir appris la décision de fermeture », assure-t-elle.
Canton de gauche, canton de droite
Pour les opposant·es, les véritables motivations sont politiques : le conseil départemental, tenu par une alliance « gauche sociale et écologique », aurait tranché en faveur du collège de Saint-Nicolas-du-Pélem parce qu’il est situé dans un canton de gauche, quand Corlay est dirigé par un maire macroniste, dans un canton de droite. Le 23 juin, l’association de défense du collège avait invité les 38 membres de la majorité départementale (sur 54) à venir s’expliquer à Corlay. Seule Marie-Annick Guillou (EELV) s’est présentée, bravant les foudres de l’alliance majoritaire, qui redoutait un « piège ».
C’est le maintien de la ruralité qui est en jeu ici.
Pascal Ambois
Le 1er septembre, en revanche, les représentant·es de « Toutes & tous Côtes-d’Armor » étaient au rendez-vous. Cette plateforme de gauche a été constituée pour faire élire les candidat·es de la majorité départementale en 2021. Sur la base d’une profession de foi édifiante que rappelle l’association : « Notre volonté est d’associer partout et toujours les habitant·es, sur tous les sujets, afin qu’ils soient à l’initiative de projets, de solutions […]. Les assemblées ont souvent décidé des solutions à apporter aux habitant·es sans se préoccuper de leur avis. Nous voulons changer la donne. »
Dans la salle, la gêne est palpable et les mea culpa tortueux, chez Génération·s, où l’on se sent « roulé dans la farine par les copains du conseil départemental » et où l’on avait suggéré aux militant·es, avant l’été, de « passer à autre chose ». Le responsable du PS des Côtes-d’Armor espère pour sa part convaincre ses collègues de venir écouter les arguments de l’association. Valérie Tabard (EELV) a le mérite de la franchise : « Je salue la qualité et la cohérence de votre travail, vous nous donnez une leçon contre le prêt-à-penser politique. L’égalité républicaine, ce n’est pas fermer un collège. »
Pour Jean-René Carfantan, il ne s’agirait que de propos dissidents. « Sur le fond, tout le monde est d’accord, le regroupement des deux collèges, ça fait plus de quinze ans qu’on en parle. Il favorisera l’égalité des chances et la mixité des élèves, auxquelles nous sommes très attachés. » Quant à l’absence de concertation, « on n’allait pas donner de fausses illusions et risquer l’opposition systématique alors qu’il n’y a qu’une seule option. Aussi nous avons agi en urgence et le plus objectivement possible. »
Les zones rurales sont en train d’apporter des réponses à des questions sociétales très contemporaines.
René Louail
René Louail, militant paysan et écologiste chevronné, met les pieds dans le plat. « Sur les 38 membres de la majorité départementale, une trentaine n’ont aujourd’hui plus d’appartenance à une formation politique, y compris le président, Christian Coail (en congé du PS), le premier vice-président et le président du groupe. On assiste à une rupture inédite entre un exécutif et les partis qui les ont portés, alors que les zones rurales sont en train d’apporter des réponses à des questions sociétales très contemporaines. »
Aussi l’association n’entend-elle pas se laisser bercer de nouvelles promesses politiques. D’ores et déjà, elle compte interpeller le président du département sur le terrain en toute occasion, ainsi que les socialistes bretons réunis le 30 septembre, et demander une audience au ministre de l’Éducation. Élodie Legal toise les représentants des partis politiques. « On ne lâchera jamais ! »