Entre Fabien Roussel et la Nupes, le petit jeu dangereux des communistes

Le PCF plaide pour un élargissement de la coalition des gauches née en 2022. Tout en la critiquant ouvertement. Ce qui a le don d’agacer les partenaires insoumis, écolos et socialistes.

Lucas Sarafian  • 4 septembre 2023 abonné·es
Entre Fabien Roussel et la Nupes, le petit jeu dangereux des communistes
Manuel Bompard (LFI), Olivier Faure (PS) et Marine Tondelier (EELV), le 30 août, après la rencontre de 12 heures avec Emmanuel Macron. Fabien Roussel, lui, est déjà parti.
© Ludovic Marin / AFP

Il ne semble pas vraiment à sa place. À côté de Manuel Bompard (LFI), de Marine Tondelier (EELV) et d’Olivier Faure (PS), Fabien Roussel se tient un peu à l’écart, visage fermé, regard ailleurs. Quand son homologue du Parti socialiste parle à la presse, il feuillette ses fiches. Ce 30 août, avant d’entrer dans la Maison d’éducation de la Légion d’honneur, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), le chef de file du Parti communiste français n’a l’air d’avoir envie que d’une chose : partir. Est-ce la perspective de discuter pendant plusieurs heures avec Éric Ciotti, Jordan Bardella et Emmanuel Macron ? Ou est-ce le fait de jouer collectif avec ses col­lègues de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) ? Concernant cette deuxième option, il n’y a rien à déclarer, selon son camp.

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Le secrétaire national du parti et député du Nord a pourtant bien accepté la mise en scène : l’arrivée groupée un peu avant 15 heures, quelques réponses aux questions des médias avant de débattre face au président. Mais quand on interroge Roussel, il déroule sa propre partition : « J’ai les priorités que le Parti communiste français défend et que je vais remettre au président de la République. On a des propositions communes sur un grand nombre de questions liées aux salaires, aux services publics, et on les défend ensemble à l’Assemblée nationale et au Sénat. Nous avons aussi des propositions propres que nous voulons mettre en avant. »

Un pied dedans, un pied dehors

Avec Fabien Roussel, le show se joue forcément en solo. Après tout, le PCF n’avait pas signé le communiqué porté par La France insoumise, Europe Écologie-Les Verts et le Parti socialiste avant cette rencontre. Le leader du parti a son programme : augmentation des salaires, blocage des prix, refus de la hausse du coût des médicaments et des consultations. À l’issue de douze heures de débat, il embarque dans une voiture dans la nuit, vers 3 heures, et part. Seul. Une matinale l’attend quelques heures plus tard, se défend-il. Bompard, Tondelier et Faure adressent quelques mots à la presse avant de partager un taxi.

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La scène peut sembler anodine, mais elle est à l’image de la ligne que tient Roussel vis-à-vis de la Nupes : un pied dedans, un pied dehors. Le 26 août, dans son allocution de rentrée lors de l’université d’été de son parti à Strasbourg, il a fallu attendre plus d’une heure pour qu’il évoque le sujet de la coalition des gauches. Et tout ça pour la ringardiser. En effet, il a une nouvelle fois appelé à la construction d’un « large front populaire » dans le but de dépasser l’alliance et, pourquoi pas, de l’élargir. « Je ne suis pas persuadé que la Nupes soit la forme ultime du rassemblement de la gauche, justifie Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris chargé du logement et porte-parole du PCF. Le sujet, ce n’est pas “Nupes ou pas Nupes”. Il s’agit plutôt de se demander comment on fait évoluer notre union pour qu’elle soit victorieuse. »

Je ne suis pas persuadé que la Nupes soit la forme ultime du rassemblement de la gauche.

Ian Brossat, adjoint à la maire de Paris

Énième tentative de se distinguer de l’alliance ? La Fête de l’Humanité, qui se tiendra du 15 au 17 septembre, sera une nouvelle fois l’occasion de le confirmer. Aucun débat n’est prévu entre Fabien Roussel et ses alliés du Parlement. Le chef des communistes ne participera qu’à deux débats : l’un avec l’ancien Premier ministre et maire du Havre, Édouard Philippe, l’autre avec le maire de Montpellier, Michaël Delafosse, socialiste, anti-Nupes notoire. Le message est limpide.

« Nous ne sommes pas contre le rassemblement. L’unité est une question importante, mais ça ne suffit pas, traduit Guillaume Roubaud-Quashie, historien et membre du comité exécutif national. Il faut continuer à travailler, parler aux classes populaires. C’est la seule stratégie qui existe. » L’universitaire communiste se souvient d’une note de 82 pages qui hante encore aujourd’hui la gauche. Publiée en 2011 par le think tank social-démocrate de tendance libérale Terra Nova, alors proche du PS, l’analyse intitulée « Gauche : quelle majorité électorale pour 2012 ? » conseillait en substance d’abandonner les classes populaires et ouvrière au profit d’une majorité d’urbains progressistes.

L’heure est donc à la renaissance de la voix communiste. « Depuis 2018, il y a une volonté de changer de stratégie et d’arrêter l’invisibilisation, rappelle Assan Lakehoul, récemment élu secrétaire général des Jeunes communistes, la seule formation de jeunesse de gauche qui refuse de participer aux initiatives des jeunes socialistes, écologistes et insoumis. La Nupes, c’était un accord électoral qui n’a pas gagné aux législatives en 2022. L’unité est un outil. Pas une fin en soi. » En exemple, il prend une date : 1981. « La gauche doit s’en souvenir. François Mitterrand atteint 25 % au premier tour, Georges Marchais 15 %. Le problème aujourd’hui, ce n’est pas la division de la gauche, c’est sa faiblesse », affirme-t-il. La question serait donc posée à l’envers. Selon lui, l’urgence n’est pas à l’union, mais au renforcement de chacun des partis. « Si on fait 10 %, les insoumis 15 et les écolos 15, ce serait idéal. Mais il faut que chacune des formations progresse. »

L’unité est un outil. Pas une fin en soi.

Assan Lakehoul, Jeunes communistes

Repli

Et forcément, l’attitude ne plaît pas aux partenaires. « Il faut sortir des effets de posture, pense un écolo. Une fois que Roussel sera sorti de sa logique présidentialiste, on arrivera à se parler. Si l’objectif est de gouverner ensemble, nous devons nous forcer à nous rassembler. » Pour un autre membre de la Nupes, « les communistes ont le droit. Mais il faut que leur jeu soit clair avec nous ». En interne, quelques timides voix tentent de se faire entendre. Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) depuis 2014, en fait partie. « C’est peut-être un peu prétentieux de le dire, mais je pense que la ligne Roussel s’écarte du communisme », lance d’emblée l’édile.

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Leclerc est un homme qui cite le sociologue Bernard Friot, adhérent au PCF, et semble aimer les développements scolaires. Si vous lui demandez une analyse critique de Fabien Roussel, il vous répondra en trois points. Le premier : la ligne politique. « Nous ne devons pas aller sur le terrain de l’extrême droite pour capter son électorat, répond-il en référence aux positions de Roussel sur l’affaire Nahel. L’extrême droite pose de mauvaises questions et propose de mauvaises réponses. » Le deuxième : la « porosité idéologique» avec le Printemps républicain, à rapprocher de l’approbation de l’interdiction de l’abaya par le secrétaire national du parti. Le dernier : le repli de la formation sur elle-même, en oubliant la Nupes. « Il faut éviter un deuxième tour Darmanin-Le Pen, ou n’importe quel autre candidat d’extrême droite. Donc nous devons construire des rassemblements plus importants, traiter l’union de la gauche et des écologistes, exige-t-il. Le changement ne peut pas être seulement communiste. »

Nous ne devons pas aller sur le terrain de l’extrême droite pour capter son électorat.

Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers

Patrice Leclerc travaille actuellement à la structuration d’une tendance au sein du parti. Une guerre interne aura-t-elle lieu ? « Ce n’est pas pour se payer Roussel. On sait qu’on ne représente que 20 %. Mais ça ne veut pas dire qu’on doit fermer sa gueule. » Selon ses propres estimations, son initiative rassemble quelque 200 militants communistes. Et se donne pour objectif d’attirer les signataires du texte « Urgence de communisme », l’orientation alternative pro-union du dernier congrès du parti en avril (18,08 %), notamment signée par les parlementaires Laurence Cohen, Elsa Faucillon, Stéphane Peu et Pierre Laurent ou l’ancienne ministre Marie-George Buffet. Reste à voir si cette initiative fera trembler la direction.

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