Grève des salariés français d’Apple en plein lancement de l’iPhone 15
Une soixantaine d’entre eux se sont rassemblés à Paris ce 22 septembre devant le magasin d’Opéra, jusqu’au samedi 23, pour réclamer une hausse des salaires et de meilleures conditions de travail.
Des trombes d’eau, des pancartes revendicatives rangées au fond des sacs remplacées par les parapluies, des clients qui font la queue à quelques encablures de la manifestation et deux voitures de police à proximité de l’Apple store Opéra du 9e arrondissement de Paris. Tel est le climat dans lequel s’est déroulé le rassemblement des salariés français de la multinationale fondée par Steve Jobs, ce vendredi 22 septembre. Loin du défunt milliardaire et loin des États-Unis, où est né le mastodonte, une soixantaine d’employés de la firme en grève ont bravé le temps très pluvieux dans le cadre du week-end de lancement de l’iPhone 15.
Alors que le rendez-vous est donné à 9 heures 30, les manifestants arrivent au compte-goutte. Les revendications des grévistes, réunis en intersyndicale (CGT, Unsa, CFDT et Cidre-CFTC), sont claires : une augmentation des salaires à hauteur de 7 %, mais aussi de meilleures conditions de travail avec notamment le souhait d’avoir un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Au terme d’une réunion avec la direction tenue il y a une dizaine de jours, la proposition d’Apple d’augmenter les salaires à hauteur de 4,5 % n’est pas satisfaisante et faussée, selon Tarek, délégué syndical CGT : « Cette hausse n’est pas prévue pour tous les employés. Les augmentations d’Apple se font en fonction des notations attribuées à chaque salarié. Ce chiffre est une moyenne, certains auront moins et une poignée auront plus, jusqu’à 6 % maximum. »
La grève, sans blocage, s’étend du vendredi 22 septembre à 9 heures au lendemain à 20 heures. Le timing est choisi stratégiquement face au déploiement en magasin du nouveau modèle de téléphone de la marque. Cet événement est le plus important pour l’entreprise. « C’est marrant parce qu’Apple n’a pas l’habitude de tout ça. En général, les sorties de produits représentent de grosses fêtes. Il y a des applaudissements de partout, les clients qui entrent sont congratulés par les employés », révèle Mathias, drapeau de la CGT à la main. Employé chez Apple depuis huit ans, il travaille à mi-temps dans l’enseigne située au marché Saint-Germain, dans le 6e arrondissement de Paris.
Sourde oreille
Les gilets oranges de la CFDT sont visibles et présents en nombre, alors que la pluie ne cesse de s’intensifier. « Manifestation pluvieuse, manifestation heureuse ! Et c’est bien pour la planète », glisse un manifestant syndiqué à la CFDT, ravi de l’écho médiatique suscité par la grève. L’annonce est faite : les vingt magasins d’Apple en France sont concernés par la grève. Une réussite pour les organisateurs.
Après une heure de rassemblement dans le calme, sans prise de parole, où les manifestants discutent et les représentants syndicaux répondent aux nombreux journalistes, le secrétaire adjoint de la CGT commerce de Paris, Rémy Frei, s’empare du mégaphone. D’un ton sarcastique, il s’adresse directement aux clients qui attendent d’entrer dans le magasin : « Avant de faire vos achats, sachez que ce mouvement social aurait pu être évité. Nous demandons seulement 7 % d’augmentation, soit moins que l’inflation, des conditions de travail correctes et la possibilité d’avoir une vie privée digne de ce nom. La direction a choisi le bras de fer ! » Le syndicaliste en profite pour remercier les salariés de la Fnac de Saint-Lazare, présents en soutien.
Un rire jaune s’empare de la foule face au contraste observé entre la queue d’une cinquantaine de clients, en quête du graal – pour lequel il faut débourser près de 1000 euros -, et leur manifestation. « Je soutiens totalement les salariés. Leurs revendications sont légitimes quand vous voyez le niveau de l’inflation et les prix exorbitants des appareils vendus par Apple », indique Aissata, cliente présente, sous son parapluie, dans la file d’attente. Non loin, les salariés précisent que la colère gronde depuis longtemps et qu’elle s’est intensifiée avec l’inflation. « Ce n’est pas un caprice », avertit Tarek.
Leurs revendications sont légitimes quand vous voyez le niveau de l’inflation et les prix exorbitants des appareils vendus par Apple.
Aissata, cliente
« Ça fait plusieurs années qu’il y a des dégradations. Tout dépend de la réponse de la direction mais je pense qu’il y aura encore des grèves après cette séquence », confie Mathias. Présent sur son jour de congé, il manifeste quand même avec l’espoir d’une issue positive de leur mouvement : « J’y crois car la dernière grosse mobilisation en 2011, c’était pour la mise en place des tickets restaurant au lancement de l’Iphone 5. Quelques heures après, ils ont été accordés. Pour eux, en tant que boîte américaine, ils ne comprenaient pas pourquoi ils devaient nous payer pour manger. » Le mouvement français est soutenu à l’international comme l’indique le délégué national CFDT Albin Voulfow : « En France, on a des lois qui protègent le droit de grève contrairement à d’autres pays. Donc on porte les revendications aussi pour nos camarades en Espagne, au Japon, aux Etats-Unis, en Australie ou en Angleterre qui ont les mêmes problématiques. »
Unité syndicale
L’unité syndicale est une autre preuve du caractère historique de la mobilisation. « Parfois, ils se tirent dans les pattes alors qu’ils disent souvent la même chose dans le fond. Ici, on porte tous le même message avec plus de force », se réjouit Mathias. « Pour que les quatre syndicats soient ensemble, alors que les autres sont plutôt réformistes, c’est que la colère est très forte. La CGT salue l’intersyndicale qui permet de nous rassembler pour défendre au mieux les intérêts des salariés », explique Tarek.
Comme lui, les travailleurs ont remarqué un changement radical après la crise sanitaire, où le traitement par l’entreprise a été salué. Une société bienveillante, pour certains, mais où le sentiment de peur règne chez les employés, selon Albin Voulfow. Certaines pratiques sont très problématiques. « Si Apple veut changer un employé de poste ou carrément le supprimer, c’est fait du jour au lendemain. Il n’y a pas de protection. C’est arrivé plusieurs fois en deux ans avec des personnes sans animosité vis-à-vis de l’employeur. Cette décision a été reçue comme une véritable claque. C’est trop violent », raconte celui qui est employé depuis treize ans.
Demain on sera encore là, peu importe ce qui est décidé comme action.
Un gréviste
Aux alentours de 13 heures, la fin de rassemblement s’amorce en même temps que la pluie disparaît. Le ciel s’éclaircit sur la capitale, en prévision d’une journée de samedi plus ensoleillée, joyeuse et victorieuse, espèrent les grévistes. Dans leurs rangs, la détermination reste intacte. « Demain on sera encore là, peu importe ce qui est décidé comme action », précise un employé, approuvé par un collègue. Mathias enchaîne, « Ça va être une journée encore plus importante. En plus, le samedi c’est le jour où la fréquentation des magasins est la plus importante ». Quoi qu’il en soit, si le patronat n’entend pas le mouvement social, « ils verront ce qu’il se passera dans les magasins », prévient Albin Vouflow.
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