Harcèlement : le vrai fléau dans nos écoles

Nesrine Slaoui, journaliste, réalisatrice et écrivaine rejoint Intersections. Pour sa première chronique, l’autrice soulève un paradoxe : si le gouvernement dit lutter contre le harcèlement scolaire, il ouvre pourtant la voie à ce phénomène majeur contre les jeunes filles non-blanches en pointant du doigt les abayas.

Nesrine Slaoui  • 6 septembre 2023
Partager :
Harcèlement : le vrai fléau dans nos écoles
Marche commémorative le 18 juin 2023 à la mémoire de Lindsay, 13 ans, qui s'est suicidée à la suite d'un harcèlement scolaire, à Vendin-le-Vieil.
© DENIS CHARLET / AFP

Une fois de plus, la rentrée scolaire s’ouvre sur un débat raciste, islamophobe et sexiste. Gabriel Attal, tout juste nommé ministre de l’Éducation, a annoncé l’interdiction des abayas. Il tranche d’emblée avec son prédécesseur, Pap Ndiaye, qui refusait d’« éditer un catalogue d’une centaine de pages avec des formes de manche ou des couleurs » concernant les tenues autorisées ou non à l’école.

La circulaire qui fixera la longueur des robes n’est pas encore publiée mais la décision est déjà discriminatoire. Elle visera seulement à contrôler le corps et les tenues des jeunes filles non blanches. La machine médiatique est lancée. Les plateaux ne proposent qu’une lecture binaire, pour ou contre, avec un champ lexical réduit qu’il est très difficile de contourner. Je le sais car j’y ai participé. « C’est religieux ou c’est pas religieux ? », « C’est de la coquetterie ou de l’islamisme ? », « Regardez ces images, c’est une abaya ou pas ? » Quand les journalistes et les invités n’ont pas essayé de me couper la parole, me faisant ainsi perdre le fil de ma démonstration, j’ai voulu dire à quel point il s’agissait d’un non-sujet, d’un non-problème.

Puisque le gouvernement s’en rend lui-même coupable en stigmatisant une partie des élèves, comment pourrait-il lutter contre ?

L’école est confrontée à des enjeux bien plus importants : les inégalités sociales qui se creusent depuis la mise en place de Parcoursup, la hausse du prix des fournitures, la pénurie d’enseignants, le manque de moyens pour accueillir les enfants en situation de handicap et le harcèlement. C’est sur le harcèlement scolaire que je veux attirer l’attention. Puisque le gouvernement s’en rend lui-même coupable en stigmatisant une partie des élèves, comment pourrait-il lutter contre ? Puisqu’il autorise le rejet et la stigmatisation en fonction du genre, des tenues, de convictions religieuses et d’origines ethniques, comment peut-il prétendre assurer l’égalité entre les citoyens ?

Sur le même sujet : Que peut faire l’école pour que le harcèlement n’ait plus cours ?

L’abaya, cette robe longue venue des pays du Golfe, poserait problème dans 150 établissements sur 11 000, soit 1,3 % d’entre eux. Le harcèlement scolaire pose problème dans 100 % des établissements, il concerne un élève sur dix et est responsable de deux morts par mois. En mai dernier, Lindsay, 13 ans, s’est suicidée pour mettre fin aux insultes et aux menaces. Quelques mois avant elle, Lucas est parti pour les mêmes raisons. En 2021, la détresse et la mort d’Alisha et de Dinah avaient déjà ému l’opinion publique. Pour quelques jours seulement, comme à chaque fois, il a été question de lutter contre ce fléau systémique dans les écoles – dans toutes les écoles, quel que soit le milieu. Un fléau amplifié par les réseaux sociaux et l’absence d’éducation au numérique aussi bien des professeurs que des élèves et de leurs parents.

Des enfants souffrent et meurent à l’école mais la préoccupation est vestimentaire.

Le gouvernement a promis de présenter un plan d’ici à la fin du mois. Un décret publié fin août prévoit qu’un élève responsable de harcèlement sera transféré dans une autre école – pour harceler ailleurs, donc, et éviter d’imposer ce changement à la victime. Rien de tangible, aucune mesure immédiate : des enfants souffrent et meurent à l’école mais la préoccupation est vestimentaire.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Idées Intersections
Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »
Entretien 24 avril 2025 abonné·es

Michaël Fœssel : « Nous sommes entrés dans un processus de fascisation »

Dans Une étrange victoire, écrit avec le sociologue Étienne Ollion, Michaël Fœssel décrit la progression des idées réactionnaires et nationalistes dans les esprits et le débat public, tout en soulignant la singularité de l’extrême droite actuelle, qui se pare des habits du progressisme.
Par Olivier Doubre
Rose Lamy : « La gauche doit renouer avec ceux qu’elle considère comme des ‘beaufs’ »
Gauche(s) 23 avril 2025 libéré

Rose Lamy : « La gauche doit renouer avec ceux qu’elle considère comme des ‘beaufs’ »

Après s’être attaquée aux discours sexistes dans les médias et à la figure du bon père de famille, l’autrice met en lumière les biais classistes à gauche. Avec Ascendant beauf, elle plaide pour réinstaurer le dialogue entre son camp politique et les classes populaires.
Par Hugo Boursier
Sur le protectionnisme, les gauches entrent en transition
Idées 23 avril 2025 abonné·es

Sur le protectionnisme, les gauches entrent en transition

Inflexion idéologique chez les sociaux-démocrates, victoire culturelle pour la gauche radicale… Face à la guerre commerciale de Donald Trump, toutes les chapelles de la gauche convergent vers un discours protectionniste, avec des différences.
Par Lucas Sarafian
Ce qu’attaquer les femmes trans signifie
Intersections 22 avril 2025

Ce qu’attaquer les femmes trans signifie

Mimi Aum Neko, coprésidente de l’association Acceptess-T, lance un cri d’alarme sur la montée des violences et attaques transphobes, auxquelles participent les institutions, comme la Cour suprême britannique avec sa récente décision  sur la définition légale de « femme ».
Par Mimi Aum Neko