« J’aime mon métier en crèche, mais je suis épuisée »
Nathalie travaille dans une crèche privée depuis de longues années. Elle raconte pour Politis son quotidien.
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Depuis quelques jours, la polémique enfle autour des mauvaises pratiques qui s’exercent dans les crèches privées. L’enquête des journalistes Daphné Gastaldi et Mathieu Périsse, Le Prix du berceau (Seuil), est édifiante. Les professionnels du secteur veulent profiter de cette actualité pour alerter l’opinion. Nathalie travaille dans une crèche privée depuis de longues années. Elle raconte pour Politis son quotidien.
Depuis plus de dix ans je suis « créchière ». C’est ma fille qui a trouvé ce mot. Il n’existe pas et pourtant il est essentiel à la vie d’un lieu d’accueil du jeune enfant : une crèche. Je suis une professionnelle de la petite enfance, celle qui accueille les enfants le matin et sèche leurs larmes au départ du parent. Je suis celle qui change la couche, qui donne à manger, qui chante, qui berce avant la sieste, qui change encore la couche, qui observe un enfant et voit s’il a de la fièvre, qui s’interpose en cas de conflit, et qui entend ses colères. Je suis celle qui décode les émotions et met des mots sur celles-ci, qui organise une activité de découverte, de peinture, de jeux, qui lit des histoires et devient une figure d’attachement pour l’enfant. Je suis créchière, mais je peux aussi bien être éducatrice de jeunes enfants, auxiliaire de puériculture ou simplement diplômée d’un CAP petite enfance. Peu d’entre vous connaissent nos qualifications.
Ce boulot ne fait rêver personne.
Je passe ma journée à m’occuper de huit enfants qui marchent ou de cinq bébés qui ne marchent pas encore, d’après le quota régi par la loi. Aujourd’hui, le malaise s’empare de ce secteur d’activité en raison des faits graves avancés : mauvais traitements, maltraitance. Une maltraitance malheureusement réelle : un adulte pour huit enfants entre un an et demi et trois ans, c’est trop peu. Les enfants de cet âge, sans capacité d’attente, ont besoin de l’adulte, de sa disponibilité, de ses bras et de son attention immédiatement. Alors je passe mon temps à répondre au mieux à tous ces besoins, en me baissant pour être à leur hauteur, en courant pour récupérer une tétine oubliée plus loin ou un doudou embarqué par un autre enfant.
J’aime mon métier, mais je suis épuisée. Le soir, je me couche à la même heure que les bébés dont je m’occupe. Même constat chez mes collègues qui, pour beaucoup, sont en arrêt de travail ou parties. Celles qui restent rentrent chez elles en pleurs souvent. Elles qui ne gagnent rien s’usent et s’épuisent dans le bruit. Elles ne sont pas remplacées parce qu’il n’y a pas ou plus de candidates. Ce boulot ne fait rêver personne. Le salaire est au Smic, et seulement à peine plus pour les plus qualifiées. Il y a peu de primes et pas de treizième mois. Pour les congés, nous bénéficions de cinq semaines de vacances par an. La journée, nous manquons de pauses. Des périodes de pause plus régulières devraient s’imposer. Par exemple, à l’école, dès la maternelle, le rythme des enfants est pensé sur sept semaines d’école environ et deux semaines de vacances. Une thématique qui a d’ailleurs été abordée dans le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur la qualité d’accueil et la prévention de
la maltraitance dans les crèches.
Ceux qui ont pensé l’encadrement en crèche l’ont évalué sans assez prendre en compte la fragilité de l’enfant.
Pour revenir à la maltraitance, elle s’est installée car ceux qui ont pensé l’encadrement en crèche l’ont évalué sans assez prendre en compte la fragilité de l’enfant, avec son cerveau en pleine construction à cet âge. Les soins dont il a besoin ne doivent pas attendre parce que son stress et ses pleurs sont néfastes pour son développement ainsi que son futur. C’est le problème central auquel le secteur est confronté. Ils ont aussi pensé que cela serait facile pour des femmes de travailler en crèche étant donné qu’elles sont « maternantes » et « aiment les enfants », mais il ne suffit pas d’aimer les enfants pour faire ce travail : il faut connaître leurs besoins, savoir gérer un groupe et se démener à 1 000 % pour que ça marche et qu’ils soient épanouis.
Le secteur va très mal, il est totalement broyé de l’intérieur, mais je salue toutes les personnes encore en poste qui chaque jour se donnent à fond pour rester bienveillantes, disponibles et qui ont encore le courage de se lever le matin pour s’occuper du mieux possible des tout-petits. Merci à vous toutes, mesdames les créchières, professionnelles de la petite enfance.
La carte blanche est un espace de libre expression donné par Politis à des personnes peu connues du grand public mais qui œuvrent au quotidien à une transformation positive de la société. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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