« L’objectif des climatosceptiques est de semer le doute »
« Arrêtons de croire que ce sont juste des gens qui doutent sur la science. » Jean Jouzel, paléoclimatologue et Camille Étienne, activiste écologiste, livrent leur analyse sur la poussée du climatoscepticisme.
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« La question de la confiance dans la science est peut-être déjà dépassée » Climatosceptiques et toxiquesJean Jouzel, paléoclimatologue
Dans les années 2000, le réchauffement climatique s’est ralenti dans l’atmosphère – mais pas dans l’océan –, donc c’était assez porteur pour les climatosceptiques. La période où Claude Allègre [scientifique et ministre de l’Éducation nationale du gouvernement Jospin, NDLR] enchaînait les débats pour défendre ses thèses climatosceptiques et dénigrer le Giec n’a pas été facile. D’ailleurs, à la suite d’un échange très rude avec lui dans une émission de télévision, j’en ai eu marre et j’ai décidé de ne plus débattre face à lui. C’est Valérie Masson-Delmotte qui l’a fait sur France 2 et elle a été brillante.
Aujourd’hui, je n’ai plus envie de débattre de la réalité du réchauffement climatique. Par exemple, pour la nouvelle exposition permanente de la Cité des sciences « Urgence climatique », dont je suis le commissaire scientifique, nous avons pris le parti de partir exclusivement du socle de connaissances des scientifiques et de ne pas mentionner le climatoscepticisme. Le scepticisme est tout à fait légitime. Mais l’important est que, si vous acceptez la réalité du changement climatique et la responsabilité humaine, cela doit logiquement avoir des conséquences et pousser à l’action. Pourquoi les messages climatosceptiques ont-ils toujours de l’écho ? Parce qu’implicitement ils disent “Circulez, y a rien à voir ! Continuez de vivre comme avant !” et cela rassure. L’objectif des climatosceptiques est de reculer, de semer le doute.
Aujourd’hui, je n’ai plus envie de débattre de la réalité du réchauffement climatique.
D’une certaine façon, ils ont gagné, puisque les émissions de gaz à effet de serre continuent d’augmenter. Le point positif, tout de même, est que les décideurs politiques au niveau international semblent convaincus, au moins en façade et dans les textes. Le problème reste le fossé entre les objectifs et la réalité, mais on ne peut pas dire que le diagnostic des scientifiques soit rejeté. Au cours des rencontres du Medef, lors de mon échange avec Patrick Pouyanné, le PDF de TotalEnergies, celui-ci a commencé par dire qu’il acceptait le message des scientifiques : il ne remet pas en cause notre travail, mais il dit clairement qu’il s’en fiche, que la transition prendra beaucoup de temps et, implicitement, qu’il accepte qu’on aille vers une trajectoire de +4 °C. C’est une sorte de climatoscepticisme dans l’action, et ça me désespère un peu.
Camille Étienne, activiste écologiste
Le climatoscepticisme est le résultat d’une invention. Aujourd’hui, on sait parfaitement que des entreprises liées aux énergies fossiles comme Total ou ExxonMobil avaient toutes les connaissances sur le changement climatique dès les années 1970 et ont décidé de les taire. L’histoire du climatoscepticisme vient de là : ce n’étaient pas des scientifiques qui doutaient mais bien une posture politique, une volonté d’empêcher l’action climatique pour protéger leurs intérêts.
Avant, j’essayais de débattre face à ces personnes. Il y a encore deux ans, à chaque fois que j’allais sur un plateau télé, on me mettait très souvent face à ce genre de personnes telles que Benoît Rittaud, mathématicien et président de l’Association des climato-réalistes, Laurent Alexandre, fondateur de Doctissimo, ou la géographe Sylvie Brunel… J’ai perdu beaucoup de temps à essayer de convaincre ces gens-là, mais il y a cette fameuse loi de Brandolini qui fait qu’ils vont parler pendant une minute d’une étude complètement fausse tandis que je passerai dix minutes à expliquer en quoi elle est fausse, mais que je ne gagnerai jamais. Maintenant, je refuse de débattre avec des climatosceptiques dans les médias.
Le véritable enjeu est de politiser ce climatoscepticisme et de toujours se demander : à qui profite-t-il ?
Dans la sphère privée, c’est différent. Si mon oncle est climatosceptique et qu’il ne travaille pas pour l’industrie des énergies fossiles, je vais essayer de le convaincre. Aujourd’hui, il y a d’autres formes de climatoscepticisme. À mon sens, ils sont présents au gouvernement et chez les patrons du CAC 40, car quand on a accès à toutes les informations et qu’on décide sciemment de rester dans le business as usual on freine l’action climatique. Nous avons un vrai besoin de vulgarisation : il faut continuer de répéter les choses qui nous semblent évidentes, afin de ne pas perdre davantage de personnes en route et de donner de la matière à d’autres qui essaieront à leur tour de convaincre leur oncle climatosceptique. Mais le véritable enjeu est de politiser ce climatoscepticisme et de toujours se demander : à qui profite-t-il ? Arrêtons de croire que ce sont juste des gens qui doutent sur la science. Non, c’est un instrument politique pour retarder l’action et il faut les nommer pour mieux les combattre. »