La lutte pour un Iran démocratique et prospère continue
TRIBUNE. Un an après le début du soulèvement de la population iranienne contre le régime, rongé par la crise, l’Iran se trouve à la croisée des chemins. Le pouvoir actuel, toujours plus répressif, est assis sur un brasier. Pourra-t-il survivre à une confrontation qui s’annonce inévitable ?
Il y a maintenant un an, les Iraniens se sont levés contre la dictature religieuse qui opprimait leur nation depuis des décennies. Cette révolte a secoué les fondements mêmes du régime au pouvoir. À l’approche de l’anniversaire du tragique vendredi de Zahedan, dans le sud-ouest de l’Iran, un nouvel espoir surgit avec l’annonce de la création de 150 unités rebelles par le mouvement pour la justice et les partisans de la liberté baloutches. Précédemment, le Conseil national de la Résistance iranienne, une coalition des forces démocratiques, avait annoncé la formation de 5 000 unités de résistance.
Face à cette menace grandissante, la théocratie iranienne a pris des mesures draconiennes pour prévenir une nouvelle insurrection. Elle a nommé à la tête de ses forces de police le général Radan, connu pour sa répression brutale. Le général Salami, commandant des Gardiens de la Révolution, a lancé un avertissement sans équivoque, déclarant qu’aucune faille ne serait tolérée, aucune opportunité ne serait donnée à l’ennemi. Les patrouilles de la police des mœurs ont refait surface dans les rues, imposant un strict contrôle sur la société. Les professeurs, acteurs essentiels de la transmission du savoir, ont été purgés de l’université afin de neutraliser l’un des moteurs potentiels d’un soulèvement. Les arrestations se sont multipliées, le régime affirmant avoir appréhendé plus de deux mille personnes au cours des dernières 48 heures. Dans un triste bilan, les Moudjahidine du peuple (l’OMPI), une composante majeure du Conseil national de la Résistance iranienne, ont révélé il y a trois mois que plus de trois mille proches de leurs membres avaient disparu, sans la moindre nouvelle.
Malgré la répression, la résistance persiste.
Pourtant, malgré la répression, la résistance persiste. Mohsen Ronani, une figure éminente de l’économie iranienne et théoricien dissident du régime, soutient que le soulèvement de 2022 ressemblait à un jeu de dupes entre l’opposition et le régime. Il estime que l’opposition se prépare minutieusement pour le moment opportun. L’année dernière, l’opposition a annoncé que 1 500 opérations anti-répression et 4 000 manifestations dans 282 villes avaient été organisées par les unités de résistance au cours des cent premiers jours du soulèvement. Ces chiffres laissent présager de possibles émeutes urbaines en Iran, capables de mettre fin au régime en un instant. Mehdi Nassiri, un autre théoricien dissident, affirme que si ce régime parvient à survivre encore cinq ans, cela relèvera du miracle.
À l’approche de l’anniversaire du soulèvement, le régime a annoncé successivement l’arrestation de 2 000 personnes et la découverte de 20 000 bombes. Que cela soit vrai ou faux, cette information témoigne d’un climat explosif qui règne dans la société iranienne. Le pays est un véritable brasier sous les cendres. La théocratie a perdu toute légitimité et crédibilité. Elle n’a rien accompli pour le bien-être de la population, et sa base de soutien s’amenuise chaque jour. Selon une enquête officielle, plus de 50 % des citoyens expriment leur colère envers le gouvernement. La jeunesse, souvent appelée la « génération des années 2000 », est particulièrement rebelle. Les analystes du régime reconnaissent qu’elle est en première ligne de ce soulèvement. Les jeunes forgent leurs convictions en naviguant sur Internet, rendant ainsi inefficace la propagande cléricale.
Peu de pays connaissent une crise aussi sévère que l’Iran : chômage massif, inflation à deux voire trois chiffres, pénurie d’eau, et un fossé béant entre les classes sociales, exacerbé par une corruption endémique. Officiellement, on estime que 20 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté, mais certains médias évoquent un chiffre alarmant de 80 %. Mehdi Pazoki, un expert gouvernemental, avertit que lorsque le prix de l’huile et du riz a été multiplié par 5 sous le gouvernement d’Ebrahim Raïssi, cela a entraîné une inflation galopante des produits de base, qui ne peut plus être dissimulée dans les statistiques. Ancien Nili, un ex-représentant de l’Iran à la Banque mondiale, sonne l’alarme en déclarant que le potentiel d’inflation monétaire dans le pays a explosé, et que les décideurs politiques sont désormais impuissants face aux problèmes bancaires. Le régime ne parvient plus à contenir sa crise. Il compare la quantité de liquidités en circulation en Iran à une bombe à retardement.
Le pays est un véritable brasier sous les cendres.
L’inflation en Iran atteint aujourd’hui des sommets inégalés dans son histoire. Pour la sixième année consécutive, elle dépasse les 40 %, mais si l’on tient compte de l' »inflation accumulée » lorsque les gens ont épuisé toutes leurs économies et leurs actifs de valeur, elle atteint les 100 %, selon Ensaf News (11 août 2023). En plus de cette inflation écrasante, le régime doit faire face au défi des caisses de retraite vides, à l’affaissement des terres dans de nombreuses régions, à la pénurie d’eau imminente, entre autres. Ces défis sont autant de volcans prêts à entrer en éruption, et cela se produira tôt ou tard, de manière inéluctable.
La société iranienne est désormais fortement polarisée, avec seulement 5 % de la population appartenant à la classe aisée, tandis que 95 % de la population lutte pour survivre dans la pauvreté. La nouvelle génération en Iran est rebelle, en grande partie en raison de la pauvreté sans précédent à laquelle elle est confrontée. La classe moyenne s’est dissoute dans la classe inférieure, créant une classe parfaitement consciente de sa situation précaire. Classe consciente de son statut précaire.
L’histoire de l’Iran est loin d’être achevée.
Alors que l’Iran se trouve à la croisée des chemins, la question cruciale demeure : le régime peut-il survivre à cette confrontation inévitable ? Les signes de désintégration sont patents, mais la réponse à cette question reste incertaine. Une chose est claire : l’Iran est au bord du précipice, et le monde observe avec une attention croissante l’évolution de la situation dans ce pays en quête de liberté et de justice. Le soulèvement de 2022 a peut-être été un avertissement, mais l’histoire de l’Iran est loin d’être achevée. La lutte pour un Iran démocratique et prospère continue, et l’avenir reste à écrire.
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