« Le ciel rouge » : les incandescences de la vie

Le cinéaste allemand Christian Petzold met en scène des vacanciers non loin d’incendies de forêt.

Christophe Kantcheff  • 5 septembre 2023 abonné·es
« Le ciel rouge » : les incandescences de la vie
© Les Films du losange

Le ciel rouge / Christian Petzold / 1 h 42

L’eau était la matière du précédent film de Christian Petzold, Ondine. Elle est encore présente dans ce nouvel opus, Le Ciel rouge, son neuvième long-métrage, puisque l’action se déroule au bord de la mer Baltique, où les protagonistes vont se baigner. Mais ici c’est le feu qui domine. Deux amis, Félix (Langston Uibel) et Léon (Thomas Schubert), vont passer des vacances d’été sur la côte, dans une maison appartenant à la mère du premier. La région, comme beaucoup d’autres désormais, est en proie aux incendies de forêt. Le feu, longtemps invisible, constitue une menace sourde, même si les vacanciers semblent sous-estimer le danger au prétexte que le sens du vent les protège.

Le ciel rouge film Christian Petzold

Étrange film d’été, qui mêle des éléments légers – une jeune femme, Nadja (Paula Beer), est déjà sur place, qui passe des nuits agitées et bruyantes avec un maître-nageur (Enno Trebs) – et plus sérieux : le portrait d’un écrivain en herbe, Léon, qui s’échine sur le manuscrit de son deuxième roman, alors que son éditeur est attendu sur place.

Renversement des représentations

Léon n’est pas Tonio Kröger, le héros de Thomas Mann, mais il en a quelques traits : il est tombé secrètement amoureux de Nadja parce qu’elle est à son aise, heureuse dans cet endroit. Léon peine à entrer dans la vie. Il s’isole pour dormir, pour écrire, est assez désagréable avec les autres. Il invoque sans cesse le fait qu’il doit travailler. Ce qui finit par excéder Félix, qui lui rétorque que les tâches collectives sont aussi du travail. Écrire (créer) s’accorde mal avec l’égocentrisme, souffle Christian Petzold : on ne voit rien des êtres qui vous entourent. Léon découvre ainsi les compétences littéraires de Nadja (lui qui s’en était tenu aux apparences : elle vend des glaces sur la plage), alors que le maître-nageur lui-même les connaissait.

Le cinéaste renverse aussi les représentations : Helmut (Matthias Brandt), l’éditeur de Léon, est quasi son contraire. Il est sincèrement attentif aux autres, aux projets photographiques de Félix, au savoir de Nadja. Celle-ci est une spécialiste d’Heinrich Heine – où l’on retrouve l’inclination pour le romantisme de Petzold, qui culminait dans Ondine. Nadja cite les vers d’un poème, L’Asra, qui s’achève ainsi : « Je suis de la tribu d’Asra / De ceux qui meurent quand ils aiment. » Superbes vers qui semblent dès lors embraser le film et dont l’incandescence devient prémonitoire.

Recevez Politis chez vous chaque semaine !
Abonnez-vous
Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes