Le sondage qui interpelle la gauche

Un sondage publié par Libération montre l’ascension de Marine Le Pen, bien aidée par l’omniprésence de ses thèmes de prédilection dans l’espace médiatique et politique. De quoi pousser la gauche à une large introspection.

Denis Sieffert  • 13 septembre 2023
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Le sondage qui interpelle la gauche
Marine Le Pen, lors des questions au gouvernement à l'Assemblée Nationale, le 23 mai 2023.
© Lily Chavance

On peut évidemment pratiquer la politique de l’autruche. Après tout, ce n’est qu’un sondage réalisé hors de tout contexte électoral. Il n’empêche ! Réalisé par Viavoice, publié par Libération le 4 septembre, celui-ci ne peut nous laisser indifférents. Il a deux bouts. Il rend compte d’abord de la résistible ascension de Marine Le Pen, mais en creux, il pointe aussi l’incapacité de la gauche à lui opposer une alternative crédible. Les chiffres parlent : 44 % des personnes interrogées estiment que Marine Le Pen peut apporter « des solutions utiles », et 42 % qu’elle a « une stature de cheffe d’État ». Cela, après plusieurs mois d’un mutisme calculé. Il suffit que ses thèmes de prédilection occupent l’espace médiatique. Macron, Darmanin, Ciotti font le job. La galaxie Bolloré, Le JDD, Praud, Hanouna, aussi, en travaillant au corps la société sur la question identitaire.

Si Le Pen progresse, c’est aussi parce que la gauche lui oppose des réponses inadaptées.

Immigration, abaya, islamisme, émeutes, « écofascisme » : il y a là comme un harcèlement de notre conscience collective. On en oublie que Marine Le Pen avance masquée. Dans l’entretien que Politis publie cette semaine, la chercheuse Nonna Mayer rappelle fort opportunément que le Rassemblement national « est exactement sur la même ligne que le parti du père ». Comme le vieux FN, il défend la préférence nationale, « un principe contraire aux valeurs de la République ». Les saillies antisémites en moins. Un autre observateur attentif de notre société nous met en garde ces jours-ci contre les effets de la « dédiabolisation ».

Pourquoi la gauche a perdu et comment elle peut gagner Martelli

Dans un livre fort bienvenu (1), l’historien Roger Martelli nous adjure de ne pas « relativiser » la menace de l’extrême droite. Non, l’idée d’un RN aux portes du pouvoir n’est pas qu’une manipulation des stratèges de la Macronie. Et, chemin faisant, Martelli met sérieusement les pieds dans le plat de la gauche. La nôtre. La sienne. C’est l’autre bout du sondage de Libé. Celui qui tend à la gauche un miroir grossissant. Certes, si Le Pen progresse, c’est qu’elle a acquis une habileté qui ne lui était pas naturelle, c’est que l’illibéralisme avance en Europe, et que le thème de l’immigration a été détourné pour exacerber les peurs. Mais c’est aussi parce que la gauche lui oppose des réponses inadaptées.

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Pourquoi la gauche a perdu et comment elle peut gagner, éditions Arcane 17.

Ce sondage, c’est un peu les vases communicants. Ce que l’extrême droite gagne, la gauche dite radicale le perd. Au point que LFI est jugée moins compétente, moins crédible, et même « plus violente » que le RN. Et Martelli questionne la stratégie qui « répond à la violence par la violence, à l’invective par l’invective ». Il appelle de ses vœux un projet « fondant la concorde sur les valeurs d’égalité et de citoyenneté », plutôt que « des métaphores de la haine et de la guerre civile ». Il rappelle que les colères, bien existantes dans notre société, sont porteuses de sentiments contradictoires « de peur et de lassitude », mais qui peuvent aller aussi « jusqu’à une aspiration à l’ordre ».

Sur le même sujet : « Il est trop tôt pour dire que Marine Le Pen est aux portes de l’Élysée »

Il y a beaucoup d’autres choses dans son livre. Notamment une critique du populisme. Chercher à conquérir des blocs sociologiques est vain s’il n’y a pas un projet alternatif clair, rassembleur de toute la gauche. Bien sûr, la cause première de la progression du Rassemblement national, c’est dans la Macronie qu’il faut la chercher. Avec son projet de loi sur l’immigration, le gouvernement atteint les limites extrêmes de sa droitisation. Pour plaire à Ciotti et à Le Pen, il faudrait refuser de régulariser les immigrés employés clandestinement dans ces secteurs « en tension », comme la restauration et le BTP. Le rêve de Le Pen ! Mais voilà que, lundi, a surgi un ovni politique : une tribune signée par quelques figures de ce qu’on appelle « la gauche » de la majorité présidentielle, avec des représentants des Verts, Julien Bayou en tête, du PCF, dont Fabien Roussel, et du PS, pour exiger la régularisation de ces travailleurs.

Chercher à conquérir des blocs sociologiques est vain s’il n’y a pas un projet alternatif clair.

On peut toujours déplorer, comme LFI, que le texte n’aille pas assez loin, mais fallait-il pour autant ne pas signer ? Du coup, la tribune met en évidence les fractures au sein de la Nupes. Quel positionnement pour la gauche ? Comment trouver le ton juste ? Le débat fait rage jusqu’à l’intérieur de LFI. Certes, on ne doit jamais oublier ce qui a déjà été dit tant de fois sur cette page : les périls politiques qui menacent notre pays n’auraient pas la même gravité si François Hollande avait appliqué ne serait-ce que le quart de ses promesses. Mais ce rappel ne peut plus servir à faire obstacle à une urgente introspection de la gauche d’aujourd’hui.

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