L’emballement planétaire
L’espèce humaine, par son activité, a modifié des équilibres géologiques séculaires. La bifurcation est inévitable. Soit une sortie se fera démocratiquement au bénéfice de l’ensemble de l’humanité, soit un modèle autoritaire s’imposera.
dans l’hebdo N° 1777 Acheter ce numéro
Depuis 2009 que j’écris dans cette rubrique, je n’ai eu de cesse d’alerter sur les risques environnementaux et leurs effets économiques désastreux. Les trois derniers mois nous montrent que les lois de la thermodynamique sont supérieures aux lois économiques. Selon l’observatoire européen Copernicus, l’été 2023 a été le plus chaud enregistré sur la planète. Encore plus inquiétant, les températures moyennes mondiales à la surface de la mer semblent partir à la hausse sans redescendre. Jamais il n’aurait fait aussi chaud sur la planète depuis 125 000 ans. Nous étions au paléolithique moyen. Homo sapiens n’avait pas encore conquis toute la planète à partir de l’Afrique.
Le modèle égalitaire fordien de la répartition des richesses disparaît au profit d’un modèle ploutocrate inégalitaire.
Cette situation fait maintenant dire aux géologues que nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique, l’anthropocène. L’espèce humaine, par son activité, a modifié des équilibres géologiques séculaires. Les révolutions industrielles ont injecté massivement du gaz carbonique dans l’atmosphère ; l’agriculture productiviste a injecté du méthane. Tous ces gaz à effet de serre entraînent une dérégulation du climat, de sorte que, même si la température mondiale augmente, il peut y avoir aussi des événements extrêmes de froid ou des ouragans bien plus violents que d’habitude, comme ce qui vient de se dérouler à Derna, en Libye. Des populations sont aujourd’hui obligées de quitter leurs territoires d’origine, parce que le niveau des océans monte, qu’ils ne sont plus habitables, que la production agricole est insuffisante.
Depuis les travaux de Nicholas Georgescu-Roegen à la fin des années 1960, nous savons que l’économie ne peut pas s’affranchir du deuxième principe de la thermodynamique, l’entropie, selon lequel l’énergie d’un système clos tend inéluctablement à la dégradation thermique. Aucun processus économique matériel ne peut s’accroître indéfiniment dans un monde où l’énergie et les matières premières sont limitées. Le rapport Meadows, « Les Limites à la croissance (dans un monde fini) », a mesuré en 1972 ce risque de pénurie.
Plus que jamais, l’humanité est confrontée à ce qu’André Gorz décrivait dans son dernier article, « La sortie du capitalisme a déjà commencé », en 2007 : la bifurcation est inévitable. L’accumulation infinie de capital est impossible. Soit une sortie se fera démocratiquement au bénéfice de l’ensemble de l’humanité, soit un modèle autoritaire s’imposera. Nous sommes dans une fuite en avant avec l’espoir, pour les plus optimistes, d’une solution technologique, d’une expansion vers l’espace. Mais, aujourd’hui, rares sont celles et ceux qui nient la réalité anthropique de cette dérégulation. Une sécession des plus riches s’organise au détriment de la majorité avec des sociétés militaires privées. Le modèle égalitaire fordien de la répartition des richesses disparaît au profit d’un modèle ploutocrate inégalitaire.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.
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