Lycées pros : dans l’ombre de la ministre, l’Élysée

Si Carole Grandjean pilote la voie professionnelle depuis sa nomination en 2022, c’est surtout Emmanuel Macron qui donne les consignes, inspiré par le très patronal Institut Montaigne.

Hugo Boursier  • 6 septembre 2023
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Lycées pros : dans l’ombre de la ministre, l’Élysée
Emmanuel Macron, au lycée professionnel de l'Argensol à Orange, le 1er septembre 2023. Derrière lui, à gauche (écharpe jaune), Carole Grandjean, ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, aux côtés de Gabriel Attal, ministre de l'Éducation.
© Ludovic MARIN / POOL / AFP

Son bureau se situe au 110 rue de Grenelle, mais certains disent que ce n’est pas au ministère de l’Éducation nationale qu’elle passe ses journées. Selon ces mêmes sources, qui préfèrent rester anonymes, c’est plutôt au ministère du Travail que Carole Grandjean est la plus aperçue. Une manière de revenir, non sans une pointe de cynisme, sur le « choc symbolique » ressenti par de nombreux acteurs du lycée professionnel lorsqu’ils découvrent, le 4 juillet 2022, que leur ministre devra rendre des comptes au ministre du Travail, du Plein-Emploi et de l’Insertion, en plus de celui de l’Éducation nationale et de la Jeunesse. Une page vieille de cent ans se ferme et, avec elle, tout un combat syndical pour maintenir cet enseignement dans l’instruction publique, sans trop le faire déborder dans l’entreprise.

« On l’a très mal vécu, confirme Catherine Prinz, de la CGT Éduc’action. C’était pour nous un véritable bond en arrière. » Et pourtant, les organisations syndicales sont sommées d’aller de l’avant. Sous l’ère Macron, dans la filière pro, les réformes s’enchaînent. Après la grande transformation imposée par Jean-Michel Blanquer en 2019, il faut déjà réfléchir à une autre promesse de « révolution » trois ans plus tard. « Sans qu’on ait pris le temps de dresser un bilan sérieux de la réforme précédente », glisse un inspecteur. Dès l’été de son arrivée, Carole Grandjean lance une série de consultations et de groupes de travail. L’objectif : préparer le nouveau chapitre de la voie professionnelle. Dont le titre pourrait être celui-ci : mettre la jeunesse au travail selon Macron.

Les mots préférés du patronat

Dans cette perspective, tous les moyens sont bons pour rapprocher les entreprises des lycées professionnels. Quitte à les rendre centrales. Le privé, Carole Grandjean le connaît bien. Avant d’arriver pour la première fois à l’Assemblée nationale en 2017 en tant que députée de Meurthe-et-Moselle, elle a passé six ans à la Caisse d’épargne de Lorraine comme gestionnaire de carrière et responsable du développement des ressources humaines. Elle bénéficie dans cette région d’un solide entregent, lui permettant de faire dépublier un portrait jugé trop salé en appelant directement la rédactrice en chef de France 3.

Après un passage dans un cabinet de recrutement, elle retrouve les RH pour le compte du groupe Elior, le géant de la restauration collective. Si le rapprochement entre cette expérience et la proximité immédiate dont elle dispose aujourd’hui avec tous les lycées professionnels de France pourrait éveiller des soupçons, le registre de prévention des conflits d’intérêts ne pointe pas de déport particulier la concernant. Contacté, le cabinet de la ministre n’a pas donné suite à nos sollicitations.

À croire que le destin des 627 000 lycéens professionnels se joue dans les locaux de l’Institut Montaigne.

Pas de conflit d’intérêts a priori mais, a minima, une continuité idéologique. Aux rencontres organisées par le Medef, fin août, la ministre déléguée jonglait avec les mots favoris du patronat proche de l’entourage du chef de l’État. Il fallait, selon elle, « créer de la simplification, de l’agilité », au sein des lycées professionnels, afin qu’ils soient « plus ouverts sur le monde économique ». Devant le parterre d’entrepreneurs, elle a affirmé avoir « besoin d’eux » au micro du média libéral L’Opinion, prenant pour exemple les « bureaux des entreprises dans chaque lycée professionnel » mis en place dès cette rentrée, dans le cadre de la réforme annoncée en mai dernier par Emmanuel Macron.

Un lexique qui n’est pas sans rappeler les recommandations de l’Institut Montaigne, un think tank réputé proche du président, notamment sur les questions relatives à l’éducation et ce, dès 2017. Les MacronLeaks ont, en effet, démontré l’implication toute personnelle de plusieurs dirigeants de l’Institut, dont son ex-directeur, Laurent Bigorgne, dans la rédaction du programme « éducation » du candidat d’En marche. Après son élection, la nomination de Jean-Michel Blanquer, membre apprécié de « Montaigne », au ministère de la rue de Grenelle réaffirme le lien entre Macron et ce laboratoire d’idées financé par plusieurs grandes entreprises, dont certaines figurent au CAC 40.

« Prétendue concertation »

Une confiance mutuelle qui persiste dans l’équipe du jeune nouveau ministre de l’Éduc nat’, Gabriel Attal, puisque sa directrice de cabinet, Fanny Anor, a travaillé pendant quatre ans au fameux Institut Montaigne. En juin, l’économiste Bertrand Martinot, plume connue du laboratoire, donne son « éclairage » sur la réforme à venir et les points à améliorer. On y retrouve, entre autres, la création des « bureaux des entreprises » dans chaque lycée. À croire que le destin des 627 000 lycéens professionnels se joue dans les locaux du think tank, rue de la Boétie, dans le très chic 8e arrondissement de Paris.

Dans ce contexte, quel est le périmètre d’action laissé à Carole Grandjean ? La question se pose lorsqu’Emmanuel Macron se déplace à tout-va dans les établissements scolaires pour s’afficher comme le seul maître de son « domaine réservé » qu’est l’Éducation. Au chef de l’État, les visites des lycées professionnels bardés de caméras. À Carole Grandjean, les courtes allocutions techniques de rentrée. Une partition jouée sans la voix des syndicats, qui rencontrent moins souvent la ministre que son cabinet. Lequel a pris l’habitude de renvoyer vers Matignon, voire l’Élysée. L’arrivée de Gabriel Attal peut-elle faire changer les choses, alors que Pap Ndiaye ne souhaitait pas s’impliquer sur ce sujet ? « Demandez à l’Élysée, vous aurez votre réponse », cingle un syndicaliste, qui préfère aider ses collègues dans cette difficile rentrée en lycée pro, plutôt que de « perdre [son] temps dans cette prétendue concertation ».

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