Muté de force, l’enseignant Kai Terada porte plainte pour dénonciation calomnieuse
Suspendu sans motif puis muté de force, ce professeur de mathématiques, représentant syndical SUD Éducation dans les Hauts-de-Seine, a décidé de porter plainte contre X pour dénonciation calomnieuse. En cause ? Une note douteuse fournie par le rectorat de Versailles.
« S’ils me reprochent des choses, il doit y avoir des faits précis pour que je puisse me défendre. » Il y a un an, voici comment Kai Terada présentait à Politis sa situation. Ce professeur de mathématiques du lycée Joliot-Curie à Nanterre, et cosecrétaire de SUD Éducation dans les Hauts-de-Seine, venait alors d’apprendre sa suspension provisoire, sans justification, par le rectorat de Versailles. Plus d’un an a passé. Entre-temps, Kai Terada a été muté de force dans les Yvelines à Saint-Germain-en-Laye. Un lycée dans lequel il n’a pas mis les pieds l’année dernière. En effet, pour contester cette décision, qu’il juge être liée à son activité syndicale, l’enseignant s’est mis en grève toute l’année. Sans que cela ne change grand-chose. Il attend désormais la décision au fond du tribunal administratif.
Un an plus tard, le discours de Kai Terada, lui, n’a pas changé d’un iota. Et pour cause, il cherche toujours à savoir ce qu’on lui reproche précisément ! « La grosse difficulté c’est que ça fait depuis le début que je demande la communication de mon dossier. Sans succès », souffle-t-il. Car comment se défendre quand le rectorat refuse de donner des éléments tangibles pour justifier sa décision ? En effet, l’institution s’appuie sur une « mission à 360° » réalisée dans le lycée Joliot-Curie l’année précédente. Une sorte d’audit global de l’établissement dont seule une synthèse – qui ne nomme aucune personne – a été rendue publique par le rectorat. Celle-ci évoque des clivages dans l’équipe enseignante sans beaucoup plus de précision.
Face à cette absence de faits, le professeur de mathématiques avait engagé une procédure en référé. Quelques jours avant le passage devant le tribunal administratif, le rectorat ajoute à son dossier une « note complémentaire » particulièrement virulente à l’égard de l’enseignant. On y lit, par exemple, ceci : « Il ressort de nombreux témoignages que son activisme multiforme (assemblées générales organisées impromptues, débrayages sans préavis) se double de formes diverses d’intimidation, à l’égard des membres de l’équipe de direction ou bien des autres enseignants. Un témoignage recueilli par la mission de la part d’un membre de la liste concurrente à celle de M. Terada est sans ambiguïté ‘je me suis fait insulter en CA, j’ai vite renoncé’.»
« Tout est incohérent, c’est tellement nul »
Une nouvelle fois, aucune note d’audition n’est apportée en complément, ni aucun nom des personnes qui auraient tenu ces propos. Pour tenter d’organiser sa défense, le professeur de mathématiques fait un recours à la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) pour demander les éléments de fond de son dossier. Celle-ci lui donne raison, mais son avis étant purement consultatif, le rectorat ne daigne pas y répondre. Obligeant, une nouvelle fois, l’enseignant à pousser la procédure – toujours en cours à ce jour – jusqu’au tribunal administratif.
Sans nouvelle du rectorat, Kai Terada a donc décidé de porter plainte au pénal contre X pour dénonciation calomnieuse et d’attestation ou certificat faisant état de faits matériellement inexacts. « Tout est contradictoire ! », s’indigne l’enseignant, « dans l’arrêté de mutation fourni par le rectorat, ils expliquent qu’aucun de mes faits et gestes ne justifie l’ouverture d’une procédure disciplinaire. Et deux semaines plus tard, ils produisent cette note avec des accusations qui, si elles étaient fondées, seraient largement passibles de poursuite disciplinaire ».
Aucun de mes faits et gestes ne justifie l’ouverture d’une procédure disciplinaire.
Kai Terada
Dans la plainte que Politis s’est procurée, le professeur de mathématiques joint des dizaines de témoignages de collègues, d’anciens proviseurs et même des membres de la liste adverse évoquée par le rectorat. Et ceux-ci décrivent une réalité tout autre. Comme cet enseignant, qui a justement contribué à créer la fameuse « liste concurrente » : « J’affirme clairement qu’à chaque étape de la création de cette liste, le nom de M. Terada n’a été évoqué que comme exemple de ‘bon comportement’ et ‘respect’ des autres professeurs » (…) Son attitude fut, comme très souvent, calme et exemplaire, détachée des enjeux de personne et de toutes mesquineries partisanes : (…) Ainsi, bien loin de chercher à verrouiller l’expression syndicale ou à faire régner l’intimidation au sein de notre établissement, M. Terada fut au contraire un élément stabilisateur et apaisant entre les différentes tendances et groupes en présence ».
Le rectorat joue la montre
Pis, outre les contradictions apportées par ses anciens collègues, les éléments décrits par la note complémentaire du rectorat ne correspondent pas aux faits les plus élémentaires. Ainsi, Kai Terada n’a jamais pu insulter une personne de la liste concurrente en CA puisqu’il n’y siégeait plus depuis plus de deux ans. « Tout est incohérent, c’est tellement nul », raille le professeur agrégé de mathématiques. Aujourd’hui, il espère que cette plainte amènera le parquet à demander, via une commission rogatoire, les éléments qui ont permis la rédaction de cette note. Ce qu’il demande, finalement, depuis le début.
Le rectorat de Versailles, lui, continue de jouer la montre. « Cela va faire un an que j’ai fait ma requête au tribunal administratif et le rectorat n’a toujours pas envoyé son mémoire en défense. Le tribunal lui a fait une injonction le 19 juin dernier, lui demandant de lui fournir ce mémoire sous deux mois. Plus de trois mois après, rien n’a toujours été envoyé. C’est pénible », souffle-t-il. Contacté, le rectorat de Versailles n’a pas répondu à nos sollicitations. En attendant, Kai Terada a mis fin à sa grève et a repris les cours dans son nouveau lycée dans les Yvelines. Une reprise sans saveur. « Cette rentrée se passe correctement, mais c’est compliqué de s’engager vraiment à fond. Ma tête est encore à Joliot-Curie. » Il espère, toujours, qu’il pourra y revenir au plus vite.
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